Industrie française : vers une fabrique de l'excellence

L'industrie hexagonale est une vitrine du prestige de la France, au même titre que son histoire et sa culture : elle a vu naître de grands projets, de grands hommes, et de brillantes perspectives qu'aucun d'entre nous ne saurait nier. Pourtant, la crise et son cortège de mauvaises nouvelles pleuvent dans l'actualité, et rares sont les experts qui refusent encore de lire en l'avenir de la France une litanie de catastrophes économiques.Des machines et des hommesNotre histoire industrielle est une épopée certes technologique, mais aussi et avant tout, humaine. Il ne peut y avoir de création de richesse nationale durable sans le talent, l'intelligence et l'inventivité des femmes et des hommes de notre pays, ni sans leur adhésion à une vision partagée de leur avenir. Peut-être faudrait-il œuvrer davantage, dans ces conditions, à apaiser les relations entre les forces motrices de la nation - travailleurs, entrepreneurs et politiques - et réconcilier l'humain avec l'économique. Dans notre vieille Europe, l'histoire d'une nation est inséparable de celle de son industrie. Et de ce point de vue, l'actuelle tendance britannique à la réindustrialisation constitue un cas d'école pour les partisans d'un renouveau industriel français.Dans le contexte actuel cependant, notre plus redoutable adversaire n'est pas tant la conjoncture que notre propre pessimisme. La France néglige souvent son premier atout, à savoir son capital humain ; Celles et ceux qui ont bâti, au gré des crises comme des périodes fastes, le socle de son excellence ; qui se sont transmis, génération après génération, une dextérité et un sens de l'esthétisme et de la précision qui projettent bien au-delà des frontières les couleurs de la France. Ces femmes, ces hommes, ce sont les ouvriers, les ingénieurs, les designers, les entrepreneurs, et les nombreux stratèges qu'ils soient experts en droit, en finance ou en management. La France est forte d'un écosystème riche et vertueux dont les qualités humaines fondent notre réputation à l'international. L'industrie française a besoin de tous, sans exception.Le risque d'un conformisme concurrentielCe n'est donc en cédant ni aux sirènes de la délocalisation, ni au repli court-termiste sur l'entrée de gamme, que nous parviendrons à résister à la pression concurrentielle exercée par les pays émergents et à préserver le leadership industriel français. Bien au contraire, comme l'a démontré Louis Gallois dans son rapport en évoquant l'exemple allemand, l'adaptation de l'offre française aux marchés étrangers passera par sa montée en gamme. En effet, les Allemands ont maintenu un haut niveau d'investissement dans les déterminants hors-prix (R&D et qualité notamment). Et quant aux résultats, « l'insolente » performance de l'industrie automobile allemande parle d'elle-même.A ceux qui objectent que l'écart technologique se réduit entre les pays occidentaux et les pays émergents, justifiant ainsi le déclassement qualitatif de l'offre française et, accessoirement, certaines délocalisations, rappelons qu'une bonne partie de ce rattrapage technologique s'explique aussi par les transferts de technologies que les entreprises françaises ont consenti pour conquérir certains marchés à l'étranger. A nous, par conséquent, de saisir la mesure des enjeux d'une économie fondée sur la connaissance afin de préserver notre leadership. Notre système d'enseignement supérieur et de recherche y contribue brillamment. La formidable résilience de l'industrie L'histoire de l'entreprise que je dirige conforte cette intuition: l'héritage industriel est un gage de maturité technologique et stratégique, et donc d'excellence. Lorsque son fondateur, François-Charles Oberthur, fonda en 1842 son imprimerie à Rennes, le berceau historique de l'entreprise, il était probablement loin d'imaginer qu'elle acquerrait cette identité qui fonde aujourd'hui sa renommée à l'international. Ou qu'après avoir failli disparaître, en 1984, elle devint l'un des leaders mondiaux de l'impression fiduciaire. Chez Oberthur la ligne de conduite fut la même au plus fort de la tempête : rester fidèle à son cœur de métier tout en le configurant pour l'avenir. L'emploi industriel a donc toutes les raisons d'être conforté en France, à condition que nos entrepreneurs se dotent d'une vision stratégique claire, et des moyens humains de la concrétiser. L'effort d'innovation et de formation en est la clé de voûte.La dimension politique du projet entrepreneurialGénéralement, entreprendre est une vocation individuelle qui se transforme au fil du temps en aventure collective. Elle est donc assortie d'une immense responsabilité, car les décisions qu'elle induit sont engageantes économiquement, mais aussi humainement. En cela, la responsabilité de l'entrepreneur se rapproche de celle du politique : il s'agit d'arbitrer dans l'intérêt collectif. Ce sens politique de l'entreprise conduit donc certains d'entre nous à considérer, non sans fondement, que l'entreprise est un trait d'union majeur entre l'Homme et la société. D'une certaine manière, l'entreprise canalise les aspirations individuelles pour en extraire un projet de « vivre ensemble ».Dès lors, la notion de « responsabilité sociale » prend toute sa dimension. Sans elle, point d'adhésion au projet d'entreprise. Cette responsabilité commence par la fidélité du dirigeant au projet d'entreprise dans lequel ses salariés se sont engagés. Celui auquel, parfois, ils ont voué toute une carrière, développant une expertise, une habileté et une créativité qu'aucune délocalisation ne saurait compenser. Pour la plupart d'entre eux, le projet d'entreprise attribue un sens à leur engagement.A l'inverse, une entreprise qui emploie l'humain comme seule variable d'ajustement trahit leur confiance, et affecte leur engagement. Il en est ainsi dans beaucoup d'entreprises qui n'entretiennent plus avec leurs dirigeants et actionnaires qu'un lien purement capitalistique. Aux yeux des salariés, pouvoir mettre un visage humain sur l'entreprise grâce à la continuité, l'implication et la solidarité du management sont les gages d'une gouvernance solide et des facteurs de légitimité. L'entreprise est une communauté de destin.La fabrique de l'excellence : une responsabilité entrepreneurialeLa vitalité de notre industrie repose avant tout sur l'aptitude de ses hommes à développer le goût du perfectionnement, l'esprit d'initiative et le sens de la qualité. Le contexte de crise dans lequel est plongée l'industrie française impose donc de redéfinir le rôle de l'entrepreneur, face à une compétition intense mais surmontable. Ce rôle n'est plus seulement celui de gestionnaire, de décideur ou de porte-parole. S'y ajoute désormais celui celle du cultivateur de talents, à même de traduire une ambition partagée en vision stratégique de l'avenir. En d'autres termes, l'entreprise a besoin - plus que jamais -, de femmes et d'hommes capables de fixer un cap et d'affirmer leurs convictions et leurs projets dans un monde pourtant jalonné d'incertitudes.Tant que les entrepreneurs français, ambassadeurs de l'industrie française, resteront fidèles à leur héritage et confiants dans leurs salariés, aucune crise ne déclassera l'identité française dans le concert des grandes nations industrielles, ni n'affectera l'attachement des Français à leur outil de travail. Selon un adage célèbre, « la vraie réussite est de laisser derrière soi, dans d'autres hommes, la conviction et la volonté de continuer. » Quelles perspectives souhaitons-nous léguer à nos enfants, sinon celles d'une nation fidèle à une histoire industrielle qu'elle continue d'écrire ? 
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