Derrière les mots d'Axel Weber, président de la Bundesbank

La proposition, le week-end dernier, du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, de réfléchir à un Fonds monétaire européen (FME), du type FMI pour prévenir ou gérer les crises a tout d'abord surpris, puis séduit une partie de la classe politique, pour enfin susciter une prudence distanciée. De fait, le caractère soudain de cette proposition, comme le flou qui entoure sa mise en oeuvre, malgré les clarifications apportées vendredi par Wolfgang Schäuble dans un éditorial publié par le « Financial Times Deutschland », laissent place à de prudentes réserves quant à la concrétisation prochaine de ce projet. Et, même si Jean-Claude Trichet a jugé l'idée intéressante, l'hostilité affichée par Axel Weber, puissant patron de la Bundesbank, gardien de l'orthodoxie financière pour protéger l'euro, augure mal des chances de création d'un Fonds monétaire européen rapidement. Surtout s'il devait nécessiter une modification des traités européens, que personne n'est prêt à engager. Pour autant, les réflexions visant à renforcer le corpus de surveillance et de sanctions pour éviter les dérives budgétaires des pays de la zone euro, refont surface. En attendant, le Fonds monétaire européen ne sera pas à l'ordre du jour des réunions, lundi, de l'Eurogroup et, mardi, de l'Ecofin. Clairement, c'est un sujet de moyen terme qui ne servira donc pas à régler le problème grec, qui lui, sera bien examiné par les membres de la zone euro au début de la semaine. Daniel Gros, directeur du Centre for European Policy StudiesIl s'agit d'un malentendu. Je pense que M. Weber fait référence à un mécanisme évoqué il y a vingt ans et qui prévoyait une facilité de crédit sans conditions et à taux bas pour les pays en difficulté. Ce dispositif n'a jamais été sérieusement envisagé et j'y suis moi-même très opposé. Les réflexions actuelles, menées notamment à Berlin, sont d'une tout autre nature. Elles partent tout d'abord d'un constat. La zone euro dispose de deux crans de sûreté : d'une part, la clause « no bail out » du traité de Maastricht, interdisant tout plan de sauvetage pour ne pas encourager les dérives budgétaires, et, d'autre part, le Pacte de stabilité censé prévenir les crises. Or, ces deux dispositifs ont clairement failli. D'où la nécessité de réfléchir à une nouvelle barrière de sécurité, préventive, opérationnelle en cas de crise aiguë, et surtout crédible vis-à-vis des marchés. L'idée est, en fait, d'organiser une éventuelle banqueroute d'un pays en défaut sans mettre en danger l'ensemble de la zone euro. Et ce, bien évidemment, sans remettre en cause la souveraineté des pays, principe intangible. En pratique, le FME pourrait ainsi racheter les dettes souveraines, avec une décote plus ou moins forte, et devenir le créancier unique du pays en défaut. Premier avantage : éviter toute panique sur les marchés. Second avantage : le pays en défaut n'aura plus accès aux marchés et il sera bien obligé de remplir ses obligations, sous peine de voir le guichet de la BCE se fermer pour ses banques, voire de se faire exclure de la zone euro en cas de non-paiement de ses dettes aux autres pays. Ces pressions seraient alors bien plus fortes que celles que pourraient exercer le FMI ! Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l'Institut Thomas More C'est une position tout à fait orthodoxe. Les Allemands et la BCE, comme l'a récemment rappelé son chef économiste, ont toujours été opposés à tout mécanisme de soutien au sein de la zone euro pour éviter l'aléa moral et la planche à billets pour combler les déficits des autres. La position de la chancelière Angela Merkel m'apparaît plus surprenante. Elle a en effet approuvé le principe d'un FME comme une bonne idée. Toute la question est de savoir si cette position traduit un vrai changement d'état d'esprit en Allemagne. Ou si elle relève plutôt d'un choix tactique du gouvernement allemand pour ne pas paraître isolé, voire dogmatique. Les politiques joueraient ainsi un air de solidarité et d'écoute laissant aux techniciens le soin de porter haut et fort la voix de l'orthodoxie. Ce qui est certain, c'est que l'opinion allemande est assez remontée, avec le sentiment qu'ils sont les seuls à faire des efforts dans la zone euro. Il n'en reste pas moins que la crise grecque qui succède à la crise financière et économique a déboussolé beaucoup de monde en Europe et en particulier à Bruxelles. Elle relève, une fois de plus, la fragilité de la construction européenne, alors que le traité de Lisbonne vient à peine d'entrer en application, après dix ans d'efforts ! Qui aujourd'hui peut se permettre de relancer un débat institutionnel pour mettre en place un FME ? Personne ne prendra ce risque avant cinq ou dix ans ! Or, il est bien clair que tout dispositif permettant d'aider un pays nécessite une modification des traités. Finalement, à chaque grand défi, l'Europe montre de très grandes difficultés à parler clair et haut devant l'urgence, à marquer clairement son périmètre d'intervention, parfois à préciser son objet même. Ces crises montrent ainsi les limites de la stratégie des « petits pas » qui a prévalu jusqu'ici. Gabriel François, économiste, Française des Placements Cette idée ne me séduit guère. Car, une fois de plus, on discute des moyens avant de traiter le fond du problème. En fait, le FME se présente comme un moyen pour s'aider les uns les autres au sein de la zone euro. Encore faut-il préalablement se poser la question : peut-on s'aider les uns les autres ? La question reste sans réponse et ce n'est pas le FME qui pourra y répondre. Sur la crise actuelle, nous assistons à un magnifique jeu de rôle, où chacun tient bien sa partition. La Grèce fait des promesses qu'elle ne pourra tenir et, j'ose dire tant mieux à l'aune des difficultés du pays. Et l'Allemagne feint de croire à ces promesses pour ne pas braquer son opinion publique qui n'accepte pas de payer pour les dérives budgétaires des autres. La seule solution pour cette crise, et prévenir les suivantes, serait de mettre en place une véritable autorité politique au sein de la zone, capable d'imposer des contraintes et des sanctions à ceux qui ne jouent pas le jeu. Mais, évidemment, personne n'est prêt à accepter ce tribut. Et, à cet égard, le FME ne semble pas une réponse institutionnelle appropriée, car il n'aura jamais cette autorité politique. La réalité est qu'aucune solution crédible de sortie de crise ne devrait émerger. Il faudra se contenter de mesures transitoires et de colmatages le temps que cela sera possible...en attendant la prochaine crise. La zone euro, par construction, risque donc de souffrir bien plus que les États-Unis de cette grande crise de la dette publique qui s'annonce dans les pays industrialisés. L'euro en sera durablement affecté. Georges Ugeux, PDG de Galileo Global Advisors Axel Weber conteste l'empressement des politiques à s'engager dans un débat institutionnel avant même que le diagnostic de la crise ait été fait et les objectifs clarifiés. C'est également le sens des prises de position récentes du président de la BCE et de Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des fFinances, parmi les premiers à avancer cette idée de Fonds monétaire européen. Il ne faut pas aller plus vite que la musique ! En revanche, Axel Weber feint d'ignorer que l'euro est une construction inachevée. La zone euro a un besoin impérieux de mécanismes de correction et d'intervention. Pour l'heure, l'Europe n'a strictement rien fait pour soutenir la Grèce. Il est donc urgent de se mettre autour d'une table pour essayer de définir des mécanismes permettant à la fois d'assurer une discipline plus stricte et, le cas échéant, d'intervenir, sous condition du respect d'un certain nombre d'engagements de la part du pays bénéficiaire. Ce n'est pas simple à mettre en oeuvre. Il faut non seulement accepter l'idée d'un transfert, même partiel, de souveraineté et convaincre les États de financer sur leur budget quelques dizaines de milliards d'euros au profit d'un fonds d'intervention.Imaginez la réaction de la France si une institution européenne avait retoqué son plan de relance en 2007 ! De même, les Allemands et bien d'autres Européens ne sont pas prêts à assumer une aide d'urgence à un pays de la zone euro en difficulté. Les politiques se sont finalement engagés dans une voie dans laquelle il sera difficile de trouver un consensus. Pourtant, la crise de la dette publique va bien au-delà de la Grèce et risque de durer quelques années. Il est urgent d'améliorer le système, mais il faut auparavant clarifier les objectifs avant de réfléchir aux moyens.
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