Jean-Marie Duthilleul : l'architecte de la mobilité

Quel est le point commun entre une gare et une église ? Ce sont deux lieux d\'intense émotion, deux objets architecturaux qui rassemblent les hommes. C\'est en tout cas de cette façon que l\'envisage Jean-Marie Duthilleul, architecte, théoricien de l\'architecture et de la mobilité, qui conçoit des gares comme si elles étaient les objets les plus importants de la ville et qui a construit ou restauré une vingtaine d\'églises, comme le monastère du mont Sainte-Odile, Saint-François-de-Molitor, à Paris, ou l\'Abbaye de Saint-Maurice, dans le Valais. Une page du parcours professionnel de Jean-Marie Duthilleul est en train de se tourner. Entré dans le giron de la SNCF en 1986 comme architecte en chef, c\'est là qu\'avec Étienne Tricaud il jettera les bases théoriques de la conception des grandes gares contemporaines. Les deux hommes vont pousser l\'exercice encore plus loin en 1997 en créant le groupe Arep, filiale de SNCF gares et connexions, après avoir gagné le concours international de la gare TGV de séoul.Au cœur de l\'expansion économique chinoiseLes années 2000 vont être celles du développement international, notamment en Chine, où Jean-Marie Duthilleul conçoit quelques-uns des monuments phares de l\'expansion économique chinoise, comme la gare de Shanghai-sud, le musée historique de Pékin Capitale, la Bourse de Shanghai pour les produits dérivés, le centre informatique de la Banque d\'agriculture de Chine, encore à Shanghai, ou la gare de Wuhan, capitale du centre de la Chine. Sans compter les gares de France, celle de Perpignan, célébrée par Salvador Dali, de Lille Europe, d\'Orléans, la gare saint-Charles, à Marseille, les gares TGV d\'Avignon, de Valence, d\'Aix-en-Provence, de Meuse-Voie sacrée, et les gares d\'Austerlitz et du Nord, à Paris. il travaille aujourd\'hui à la construction de la nouvelle gare de Turin, en Italie, et à la réorganisation de celle de Mumbai, en inde : la seule gare du monde d\'où partent deux fois plus de voyageurs qu\'il n\'en arrive... L\'Arep est aujourd\'hui une structure aux compétences complémentaires, en même temps cabinet d\'architecte, bureau d\'études, centre de recherche économique, cabinet d\'urbanisme, qui emploie près de 580 collaborateurs dans les anciennes usines Panhard-Levassor de l\'avenue d\'Ivry à Paris, le seul vestige industriel de l\'industrie automobile qui a été sauvé dans la capitale. Pour Jean-Marie Duthilleul, cette aventure va continuer autrement. Il a cédé la présidence du directoire à Étienne Tricaud, tout en conservant celle du conseil de surveillance, et il a créé son propre cabinet d\'architecte. Quels enseignements tire-t-il de cette expérience de l\'Arep ? « Au fond, nous n\'avons fait que nous occuper des endroits où l\'on passe. Notre sujet, c\'est la ville. Notre mission est d\'aménager l\'espace de la ville pour que les gens soient le plus heureux possible dans cette ville contemporaine installée au cœur des réseaux de transport. Pendant deux siècles, l\'architecture a été l\'art de l\'immobile, elle doit se réapproprier l\'art du mobile », explique-t-il. Or la mobilité, au cours de la révolution industrielle et des trente Glorieuses, a été vue comme un sujet principalement technique où il s\'agissait notamment d\'inventer des objets de mobilité de plus en plus performants et de plus en plus rapides. Le tramway des années 1900 était lent, une sorte de tapis volant au niveau du sol, que l\'on attrapait en marchant un peu vite. Les tramways et les métros d\'aujourd\'hui jouent la vitesse, sans parler du TGV. « C\'est ainsi que l\'on a segmenté les lieux de vie et de travail au cours des décennies passées, parce que l\'on avait la conviction que le réseau de transport rapprocherait ces deux univers, analyse Jean-Marie Duthilleul. Mais les transports mécaniques se sont tellement insérés dans la ville qu\'ils sont en train de la faire exploser. » il faut donc reconcevoir les espaces de la ville et, dans cette logique, la gare retrouve un rôle central, comme point de rencontre des réseaux de vie, et lieu de création de lien social par la mise en relation fortuite des gens entre eux. Quel axe de développement Jean-Marie Duthilleul va-t-il donner à son cabinet d\'architecte ? « Vous savez, la réflexion sur la ville n\'est pas terminée. La ville, c\'est le lieu de l\'accumulation et de la mise en relation. On a beaucoup travaillé sur l\'accumulation, moins sur la mise en relation », dit-il.La gare TVG d\'Aix-en-Provence. [AFP] Le modèle du logement classique est dépassé Il compte bien explorer d\'un peu plus près le sujet « habiter ». « Il existe un décalage entre l\'offre d\'habitation, ce qu\'attendent les gens, et ce qu\'ils peuvent se payer. Il doit être possible de mettre en place des offres intermédiaires d\'endroits où habiter, avec des répartitions différentes des espaces. Le modèle du logement avec des pièces aux fonctions attitrées ne correspond plus au désir d\'une partie de la population », précise-t-il. Mais il veut aussi s\'intéresser à d\'autres grands équipements publics de la ville, et notamment aux campus et aux espaces de la vie universitaire. En attendant, il exerce la responsabilité de commissaire général de l\'exposition « Circuler. Quand nos mouvements façonnent les villes », organisée par la Cité de l\'architecture et du patrimoine à Paris (jusqu\'au 26 août), ce qui lui permet de transmettre au grand public plusieurs de ses convictions. « Nos contemporains ont des attentes formidables quant aux transformations à venir du territoire des métropoles, on le voit très bien dans les consultations réalisées dans le cadre du Grand Paris, par exemple. Mais ils doutent de notre capacité à transformer le RER ou le métro, explique-t-il. La seule réponse à apporter est que ces modes de transport soient conçus comme de véritables espaces publics de la ville. » De ce concept à la réalité de la ligne 12 du métro parisien, il y a encore une révolution à gagner, mais Jean-Marie Duthilleul a davantage que de la conviction : la foi dans son métier d\'architecte comme vecteur de la transformation de la société.
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