Visite chez les rois du pétrole, à Aramco City

Un véritable check-point contrôle l’enceinte de « Aramco City », encore plus imposant que ceux qui bouclent les « compounds », ces lotissements fermés qui sont la norme en Arabie Saoudite. A l’intérieur de cette véritable ville de 42.000 personnes, près de Dharan, la capitale de la zone pétrolière à l’Est du pays, se trouve le siège de Saudi Aramco, la première compagnie pétrolière du monde, mais aussi une résidence pour les salariés qui, en pleine zone désertique, n’a rien à envier aux banlieues résidentielles américaines. Vérandas, pelouses soignées, aires pour les enfants, Aramco City abrite aussi un hôpital, une université, un cinéma (interdit dans le pays), et même une église !Des femmes au volant !«Aramco est un Etat dans l’Etat. Le groupe fait preuve d’un progressisme et d’une autonomie rares dans le Royaume », explique un expatrié. On croise dans le siège de nombreuses femmes –fait déjà rare en Arabie Saoudite- nombre d’entre elles ne portent pas le voile, pourtant obligatoire dans le Royaume wahhabite. D’aucuns affirment même que certaines conduisent dans Aramco City, prérogative qui leur est formellement interdite, sous peine de prison, dans le reste du pays.« Contrairement aux autres entreprises étatiques, le PDG de Saudi Aramco n’est pas membre de la famille royale. Il a été désigné pour ses compétences, c’est unique ici », décrypte un Français sur place. Khalid A. Al Falih, 52 ans, reçoit ce jour-là une délégation de journalistes à la demande de Total, son partenaire dans une raffinerie géante qu’ils construisent ensemble à quelques encablures. Mince, vêtu à l’occidental, œil pétillant, anglais parfait, et sens de l’humour prononcé, il est loin de ce à quoi on pourrait s’attendre en contemplant son portrait officiel en keffieh et manteau doré sur sa tunique blanche. Il fait la pluie et le beau temps sur la planète pétrole, assis sur un quart des réserves mondialesLa mine sévère, il attaque dans un silence imposant. \"Par le passé, nous avons eu une belle collaboration avec Total et Shell dans la recherche de gaz. Mais Total a décidé de nous quitter prématurément…\" Les responsables de Total autour de la table retiennent leur souffle, le sourire figé. Le patron de la plus grande compagnie pétrolière du monde poursuit. « Trois ans plus tard, nous découvrions… que Total avait raison !\". Soulagement général. Diplômé d’une université du Texas, Khalid A. Al Falih enchaîne avec des considérations très informées sur la situation économique européenne, et française. Il rentre tout juste de Paris où, invité par Total, il a visité le tout nouveau pavillon Arts de l’Islam au Louvre. Dans son siège imposant tout en marbre et en fontaines, où se côtoient des dizaines de nationalités, dont de nombreux américains, Saudi Aramco ressemblerait presque à n’importe quelle compagnie pétrolière. A une différence près. Et elle est de taille. Sa position sur l’échiquier pétrolier international : à la tête de quelque 25 % des réserves mondiales de pétrole, avec une production de 10 millions de barils par jour (contre 2,3 pour Total, par exemple), sans compter une marge de manœuvre de 1 à 1,5 million de barils supplémentaires, les Saoudiens font la pluie et le beau temps sur la planète pétrole. Prié de donner sa vision du cours du pétrole à moyen terme, Khalid A. Al Falih demandera aux journalistes présents de la garder pour eux … « Cela donne toujours lieu à interprétation », justifie-t-il sobrement pour éviter de dire que chacun de ses mots sur le sujet fait décaler le cours mondial du baril ….Avec des coûts de production d\'environ 3 dollars, Aramco refuse de partager la manneSaudi Aramco, créé et détenue par des pétroliers américains jusqu’en 1974, lorsque le gouvernement saoudien prend 60%, puis 100% en 1980, détient non seulement les plus importantes réserves du monde, mais les moins chères. D’ailleurs, la compagnie n’en fait pas mystère en aparté. « Nos coûts de production sont imbattables [ 3 dollars le baril environ], chaque dollar que l’on gagne va à l’Etat, nous n’avons pas du tout intérêt à ouvrir nos champs aux compagnies internationales », explique-t-on sans détour. « La plupart des producteurs ont besoin des majors internationales parce qu’ils manquent soit de technologie, soit de capitaux, soit de capacités en gestion de projet. Ce n’est pas notre cas ! », ajoute un cadre de Aramco.En revanche, désireux de capter aussi la plus value sur l’aval, Saudi Aramco ouvre depuis quelques années le raffinage et la pétrochimie aux pétroliers internationaux qui lui apportent leur technologie. Total est le dernier en date à co-construire une raffinerie ultramoderne (un projet de 12 milliards de dollars), après Shell, ExxonMobil, Sumimoto et le chinois Sinopec (en construction aussi). « Il y a un grand déséquilibre ici en faveur des investisseurs anglo-saxons », souligne un spécialiste de l’économie du royaume. « Pourtant les saoudiens ont soif de diversification. Malheureusement, les Français manquent souvent à l’appel », souligne-t-il. « Mais attention, ils sont très durs en affaires, ils ont absolument horreur qu’on les prenne pour les Rois du pétrole », prévient-il. 
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