14 juillet : couvrez ce sang que je ne saurais voir !

Eté morose, croissance faible, pessimisme des Français qui fait jusqu\'à la une du International Herald Tribune... Et pourtant la célébration de la fête nationale du 14 juillet, de nouveau, s\'est imposée. Une réussite, une opération, un spectacle sans bavure qui se sont achevés sur l\'envol dans le ciel bleu de la capitale de six parachutistes des troupes aéroportées, se posant avec élégance aux pieds de la tribune présidentielle alors que se succèdent les chants de Paris en colère sur une musique de Maurice Jarre, et de Paris Tour Eiffel, de Jaques Hélian.Le ministère de la Défense avait informé de coupes dans le budget du défilé militaire sur les Champs Elysées. Une décision qui s\'inscrit dans la logique de la réduction du budget de la défense, alors que nombre d\'analystes alertent : la situation des armées est entrée dans une phase critique qui pourrait déboucher sur une crise sociale, sur une crise capacitaire accompagnée d\'une crise des vocations préoccupante. La prudence des approches du « Livre Blanc de la Défense », prélude à la loi de programmation militaire qui sera débattue et votée à l\'automne prochain, confirme la légitimité de ce pessimisme. Nul grand projet en perspective, sauf à économiser.Un 14 juillet sous le signe de la victoire au MaliEn 2013, le 14 juillet est placé sous le signe de l\'opération Serval au Mali, qualifiée par le président François Hollande de « victoire ». A la tribune, le président par interim du Mali, D. Traoré. Au premier rang du défilé des troupes à pied : les forces des 12 pays africains impliqués dans la Mission Internationale de Soutien au Mali (Misma), suivies par les Casques Bleus de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies et par des éléments des forces françaises qui ont servi au Mali. France 2 souligne l\'efficacité des troupes tchadiennes aux côtés des Français, 30 tués au combat. Par contre, l\'information est muette sur le nombre des Français tombés ou blessés.Le temps n\'est pas au deuil mais à la victoire : l\'intervention française en Afghanistan, son coût humain, sont à peine effleurés, sauf à rappeler que 500 soldats français sont encore présents à Kaboul. Le temps n\'est pas au doute mais à l\'autosatisfaction : salut au détachement d\'honneur de 64 militaires croates alors que la Croatie a intégré l\'UE le 1er juillet dernier, une Croatie dont un ministre nous fait savoir « qu\'elle aime la France ». Le temps est à la concorde : 2013 nous renvoie à 1963, traité de l\'Elysée et réconciliation franco-allemande.Antidote contre le pessimismeAu-delà de la victoire de la France au Mali, ce 14 juillet s\'est attaché à démontrer la solidité du lien Armée-Nation : les jeunes du Service Civique de 16 à 25 ans sont honorés, interviewés avant le départ du défilé puis intégrés dans une impeccable chorégraphie qui célèbre sur le terrain, en un mouvement d\'étoile, le cinquantième anniversaire de la création, en 1963, de la médaille de l\'Ordre National du Mérite. Ces jeunes gens, filles et garçons seront remerciés un à un par le président Hollande suivie de sa compagne, en fin de cérémonie. Victoire militaire au Mali, défilé sans faute, présence d\'une jeunesse responsable, pas une ombre au tableau. L\'Europe, soutien de la France au Mali est à plusieurs reprises évoquée, par contre l\'apport des Etats-Unis en transports et renseignement, ignoré. Ce 14 juillet 2013 a été conçu comme une manifestation de la France en puissance. Antidote contre le pessimisme.Episode sanglant ou unité républicaine?Si le 14 juillet honore l\'armée, c\'est aussi la fête de tous les citoyens. Cette date est fondatrice, elle témoigne de l\'existence de la République, république du peuple souverain et nation redressée. Ce jour de symbole inaugural, les parlementaires de la Troisième République l\'ont voulu, dix ans après la défaite française de 1870 et les déchirures de la Commune de 1871. Les pères fondateurs souhaitaient un retour à la mémoire de la Révolution française de 1789, plus précisément un retour à la journée marquant la fin de l\'arbitraire de l\'Ancien Régime que fut la prise de la Bastille. Les républicains modérés se sont toutefois inquiétés des épisodes sanglants de la Révolution. Alors, ils ont associé à cette mémoire du 14 juillet 1989 celle de la journée de l\'unité de la France, de ce qu\'ils nommèrent le corps et l\'âme de la France, le 14 juillet 1790, jour de la Grande Fédération. La loi promulguée le 6 juillet 1880 précise simplement : « La République adopte le 14 juillet comme fête annuelle ».Ré-assurance identitaireLes Français ont adopté le 14 juillet, ils demeurent attachés à cette date. Les municipalités répondent généreusement : les enveloppes consacrées au 14 juillet ne sont pas réduites, certaines communes mutualisent leurs efforts, (c\'est le cas de Levallois-Perret et de Courbevoie qui organisent ensemble un feu d\'artifice tiré des ponts de la Seine.) Marseille débloque 600 000 euros pour embraser le ciel au dessus du Vieux Port.Le 14 juillet résiste, durant une journée, le lamento autour du déclin, se tait. La fête est républicaine, elle est ouverte à une solidarité locale, régionale, et avec le défilé militaire, nationale. Performance militaire accessible à tous via les médias télévisés, performance des artificiers et bals populaires se conjuguent en une sorte de ré assurance identitaire complexe. Remettre en question la célébration de cette journée de fête nationale, au nom d\'une politique d\'économies ou de la volonté de réduire le nombre des commémorations, serait aussi dangereux que de détruire d\'un coup toutes les représentations de Marianne.Face aux journalistes, pas un mot sur la défenseAu-delà, le contraste entre l\'excellence du défilé et le visage du président qui l\'observe, visage triste, fermé, surprend. La clôture de la matinée, entretien présidentiel dans la douceur estivale des jardins de l\'Elysée, avec les journalistes Claire Chazal et Laurent Delahousse déçoit : pas un mot sur l\'armée, ses inquiétudes fondées quant à un budget « sanctuarisé » selon la formule de François Hollande, avec encore 24 000 postes à supprimer mais une déclinaison de mesures annoncées antérieurement portant sur les retraites, la fiscalité, l\'emploi - déclinaison enveloppée d\'un vocabulaire lénifiant : le président ne parle ni de rigueur, ni d\'austérité mais de sérieux, d\'effort et de solidarité.Alors, reste à s\'agripper au souvenir des belles images d\'un défilé qui a supposé un extraordinaire travail dans la discipline. Reste à s\'informer pour ne pas tomber dans une sorte de féérie de la technique et du sport, reste à s\'interroger sur les finalités, sur les priorités du Militaire et du Politique français, en 2013. *Catherine Durandin est une historienne française. Son dernier ouvrage, Le déclin de l\'armée française, est paru en janvier 2013
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