Mémère.com

O ma mère, mon modèle d'affaires. « Pour vous ce mois-ci, ma maman détricote votre vieux pull en laine et le retricote en forme d'écharpe. Pas cher, 30 dollars seulement, frais de port en sus. Cliquez ici. » Haik Avanian est graphiste à Boston. Il vient d'avoir l'une des plus candides idées e-commerciales qui soit, et peut-être l'une des plus tendance aussi: vendre les talents de sa maman. Talents de recycleuse en tricot, donc. Son site, Rekn.it, lancé en ce début d'année, est une merveille d'épure et d'ergonomie. Et présente tous les symptômes d'un produit du « Zeitgeist »: faire du neuf avec du vieux, renforcer les liens intergénérationnels, travailler en s'amusant pour des revenus anecdotiques. On fait main, en série très limitée, pour des clients partout dans le monde. On dépoussière une pratique vieillotte pour la revendre sous une URL chic et sans frontière, un nom de site en « .it » sans même être italien, juste pour pouvoir écrire « reknit », comme « retricoter » en anglais. Enfin, pour s'attacher les clients, on fait participer, et on donne rendez-vous: chaque mois, la maman de Haik Avanian tricotera quelque chose de différent avec les vieux pulls envoyés en lifting, et c'est à l'internaute de choisir. C'est dans l'air, la confection unique, à rebours de la massification. Et l'envie que, derrière un objet, il y ait une histoire à dire. Et ça tombe bien, la publication web et le paiement sécurisé se sont tant et si bien démocratisés que n'importe quelle mère au foyer bien informée (ou bien entourée) peut vendre sur Internet ses napperons crochetés, ses couvertures en patchwork, ses meubles repeints, ses bijoux/chapeaux/habits/jouets faits main. Il y a justement un portail web devenu incontournable depuis son lancement en 2005 : Etsy.com, un site entièrement dédié à l'artisanat, où se rencontrent bricoleuses (oui, ce sont surtout des femmes) et consommateurs en mal de singularité. Un tentaculaire marché des artisans, l'odeur de pot-pourri en moins, où l'on ose à peine s'aventurer sans moteur de recherche. Mais où il est littéralement subjuguant de rechercher un « bonnet rouge avec fleur verte » (en anglais) et de trouver non pas un, mais 80?bonnets rouges avec fleur(s) verte(s), tous plus faits à la main les uns que les autres.On émerge étourdi de cette jungle micro-manufacturière avec l'intuition d'assister à une sorte de mémèrification du cyber-espace. A moins que ça ne soit la montée en puissance d'une mémère 2.0, dont les passe-temps, autrefois raillés, aujourd'hui encensés, peuvent profiter à un cercle infiniment plus vaste que sa seule descendance, grâce à l'informatique de réseau. D'aucuns n'ont pas hésité à inventer la mémère crowdsourcée. Comment ? Ce néologisme (de « crowd », la foule, et « outsourcing », la sous-traitance) désigne une manière de distribuer le travail auprès d'un grand nombre de personnes. En l'occurrence, un grand nombre de grand-mères. GoldenHook.fr, par exemple, exploite un réseau certifié d'authentiques vieilles dames, à qui l'on peut commander des bonnets ou des écharpes. Le client-roi choisit tout: la taille, la forme, la laine, les couleurs, les motifs, les maillages et la grand-mère. Une ambiance jeune et parisienne, avec l'humour qui va avec, sur ce site au design très contemporain. Les galeries d'images montrent des grand-mères rigolardes, ainsi que des chèvres du ­Cachemire élevées dans les verdoyantes collines des Alpes du Sud. Souci d'une production durable du poil à l'aiguille, et où, en fin de chaîne, tout le monde est content. C'est dans l'air, le troisième âge actif et la valorisation des savoir-faire ancestraux.
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