La pilule, une révolution scientifique et sociale

Des femmes qui se rendent en cachette chez Marie, qui s'allongent sur la table de la cuisine, les aiguilles à tricoter, le sang, la douleur... Le film « Une affaire de femmes » de Claude Chabrol, avec Isabelle Huppert dans le rôle de la faiseuse d'anges Marie, est inspiré d'une histoire vraie. Celle de Marie-Louise Giraud, l'une des dernières femmes à avoir été guillotinée, le 30 juillet 1943. Son crime?? Avoir pratiqué une trentaine d'avortements.En assimilant l'interruption volontaire de grossesse à un crime contre la sûreté de l'État, le régime de Vichy était allé plus loin encore que la loi du 31 juillet 1920, votée dans une France traumatisée par la perte d'une génération durant la guerre de 1914-1918, et qui interdisait l'avortement et la contraception. De toute façon, les contraceptifs les plus répandus à cette époque (le préservatif et le stérilet) étaient loin d'être d'une efficacité à toute épreuve - contrairement à la contraception orale, dont l'invention et l'autorisation vont révolutionner la vie des femmes, tant au plan social que biologique.Au début des années 1950, l'infirmière et militante féministe américaine Margaret Sanger, fondatrice de l'American Birth Control League (mouvement pour le contrôle des naissances, qui deviendra le planning familial américain), rencontre le médecin américain Gregory Pincus, qui travaille sur la contraception, et lui propose de financer une partie de ses recherches, via sa fondation pour le planning familial et avec le concours de la riche philanthrope Katherine Dexter McCormick.Gregory Pincus et le chimiste américain Carl Djerassi parviennent alors à synthétiser plusieurs hormones, dont la progestérone, qui a un effet contraceptif sur la femme. La progestérone synthétisée par les deux chercheurs est bien plus forte que l'hormone naturelle, ce qui permet au contraceptif élaboré par Pincus et Djerassi d'être efficace grâce à une simple prise orale. La pilule est créée. Sur le plan technique, les hormones qu'elle contient empêchent l'ovulation, et épaississent la glaire cervicale (sécrétée par les cellules du col de l'utérus) qui dresse une barrière contre les spermatozoïdes.Durant les années 1950, la future pilule fait l'objet d'essais cliniques sur des femmes des communes pauvres de Puerto Rico, souvent mères d'une dizaine d'enfants. Les tests s'avèrent concluants, si bien que, le 9 mai 1960, la FDA (Food and Drug Administration), l'autorité sanitaire américaine, donne son accord à la commercialisation de l'Enovid, la première pilule contraceptive. C'est une révolution. Biologique, d'abord. Désormais, les femmes peuvent décider d'avoir des enfants ou non, quand et combien. Aujourd'hui, une femme française a deux enfants en moyenne, contre trois en 1960. De plus, grâce à la pilule, les femmes n'ont plus à redouter les avortements plus ou moins barbares.Bien sûr, la pilule a des inconvénients. Comme la quasi-totalité des médicaments, elle peut occasionner des effets indésirables, de la prise de poids à la thrombose (formation de caillots de sang). Mais ces risques ont considérablement diminué avec les nouvelles générations de pilules, beaucoup plus faiblement dosées en hormones. Mieux, ces nouvelles pilules apportent des bienfaits, sur le plan de la rétention d'eau, de l'acné, de la régularité du cycle menstruel, de la lutte contre l'ostéoporose (diminution de la masse osseuse), etc. Rupture scientifique majeure, la pilule a également bouleversé la société. Lorsqu'elle apparaît aux États-Unis et en Europe, au début des années 1960, la pilule est considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs, qui prohibaient les relations sexuelles en dehors du mariage. À tel point que, commercialisée au Royaume-Uni et en Allemagne dès 1961, elle ne sera autorisée en France que six ans plus tard.Il faut dire qu'au tout début des « sixties », le climat n'est guère favorable à la libération sexuelle, en France. L'Église catholique crie au scandale, emmenée par le pape Paul VI, qui condamne l'usage de la pilule, recommandant de s'en tenir à la bonne vieille méthode de la courbe de température pour tenter de déterminer la période la plus propice à la fécondation. La pilule suscite également les foudres de la droite conservatrice et même de l'Ordre des médecins, il est vrai composé essentiellement, si ce n'est uniquement, d'hommes, certains allant jusqu'à prétendre que la pilule rendrait les femmes stériles et hystériques. Mais, ce que ce minuscule médicament rond faisait en réalité craindre, c'était un bouleversement total de l'ordre social, la fin de la famille typique des années 1950 avec la femme au foyer, tout entière dévouée à son mari et à ses enfants. Pour la première fois, les femmes allaient pouvoir vivre une sexualité aussi libre que celle des hommes, et cette vision nouvelle d'une femme aux multiples amants possibles révulsait les conservateurs. De fait, la pilule modifiera considérablement le rapport de force entre hommes et femmes. Libérées des grossesses non désirées qui les contraignaient à choisir entre le mariage, l'avortement ou le statut méprisé de fille-mère, les jeunes filles ont désormais la possibilité de faire des études supérieures en toute sérénité. Aujourd'hui, les États-Unis comptent plus de femmes très diplômées que d'hommes, alors qu'en 1960, un quart seulement des Américains étudiant au-delà de la licence étaient des filles, ce qui ôtait à celles-ci toute possibilité de faire carrière.Pour que les mêmes perspectives s'ouvrent aux jeunes filles françaises, il faudra toute l'humanité et la persévérance d'un jeune député gaulliste, Lucien Neuwirth. Effaré par le nombre de femmes qui se rendent aux urgences dans un état critique après un avortement qui a mal tourné, Lucien Neuwirth bataillera ferme contre son propre camp politique, y compris le président de la République de l'époque, le général de Gaulle, pour faire voter la loi légalisant la contraception orale.Lors des débats parlementaires passionnés suscités par le projet de loi Neuwirth, un député n'avait pas hésité à prétendre que, si la pilule était autorisée, alors « les hommes perdraient la fière conscience de leur virilité féconde »... La loi Neuwirth autorisant l'usage de la pilule sera finalement votée le 28 décembre 1967, mais ses premiers décrets d'application ne seront publiés qu'en 1972.Aujourd'hui, elle demeure le moyen de contraception le plus utilisé en France, 60 % des femmes âgées de 20 à 44 ans prenant la pilule (20 % utilisent le stérilet, 11 % le préservatif et une très faible minorité des méthodes hormonales récentes comme l'anneau vaginal, l'implant et le patch). Pourtant, pas moins d'une grossesse sur trois demeure non désirée, selon l'Ined (Institut national d'études démographiques). Car, si la loi Neuwirth a légalisé la contraception, elle n'a en revanche pas instauré une véritable politique de santé publique. Christine Lejoux
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