Comment l'économie globulaire nous permet de prendre le pouls d'un monde globalisé

Dans un monde remodelé par la Révolution industrielle numérique, la vitesse de circulation des informations croit à une vitesse asymptotique. Hier, les données et images, aujourd\'hui les constructions (via notamment l\'impression 3D) et capitaux, sont envoyés d\'un bout à l\'autre du globe en un battement de cœur au gré des mouvements financiers entre microéconomies régionales. Un phénomène moderne illustré par le concept anglo-saxon d\'\"économie globulaire\", qui assimile le monde à un corps humain : les capitaux alimentent les marchés par la monnaie comme l\'oxygène les organes par le sang. Ce concept dépasse le terme « d\'économie circulaire », qui implique que tout ce qui est détruit par la consommation repart dans un nouveau cycle économique, car le terme « globulaire » apporte une dimension qualitative : ce qui circule n\'est pas forcément générateur de croissance, mais aussi de crise. En l\'occurrence, l\'enjeu de cette approche est de discerner les globules, ou capitaux sains, des bulles causes d\'embolie, ou capitaux inflationnistes, sans en gêner le flux.De la crise financière à la crise monétaire D\'après les derniers chiffres du G20, plus de 5.300 milliards de dollars sont échangés chaque jour contre 4.000 il y a 3 ans. 2008 a vu le recours à l\' assouplissement quantitatif, politique exceptionnelle permettant aux banques centrales d\'absorber les actifs nationaux à risque. Mais ce soutien aux économies développées a en réalité profité aux BRICs, vers qui la révolution numérique a orienté les achats de produits manufacturés du monde entier. Ainsi la relance massive aux États-Unis a-t-elle alimenté une bulle spéculative dans les émergents plutôt que stimulé l\'emploi local. Car à nouvelle mesure, nouvel effet pervers : au lieu d\'apprendre des erreurs de l\'Occident, ils les ont répétées. La Chine, en freinant l\'appréciation de sa devise face à l\'insistance de ses partenaires, a recyclé l\'essentiel de son inflation (augmentation de sa masse monétaire de 19 % par an depuis 2008) dans son marché immobilier, au risque de sa surévaluation (du double au triple, selon les estimations).La monnaie comme vecteur de criseSi les BRICs semblaient ainsi maintenir leur croissance dans un premier temps et le soulagement général, les fonds n\'avaient en fait qu\'été redistribués d\'une bulle à l\'autre au gré des investisseurs opportunistes. Car dans ce contexte de réactivité globale et immédiate, les nations se comportent comme des entreprises en recherche systématique de performance face à un arbitrage financier constant. La croissance à court terme est primordiale et comme la monnaie est l\'instrument le moins coûteux pour cela, prêts à taux d\'intérêt quasi-nul et assouplissement quantitatif sont de mise, favorisant la spéculation, bénéficiant à ceux qui empruntent.La monnaie, originellement variable d\'ajustement macroéconomique, devient vecteur de crise au même titre que la finance, dès lors que ces deux veines de l\'économie sont infectées par la spéculation.Nouvelle dynamique macroéconomique globaleLa récurrence de crises est donc une caractéristique indissociable de l\'économie globulaire. Car cette dernière, toujours endettée et exposée aux bulles immobilières et boursières, croit moitié moins vite que par le passé : le taux d\'inflation mondial actuel est d\'environ 50% plus élevé que le taux de croissance du PIB réel. Et à présent que cette stagflation s\'étend aux BRICs, la Réserve fédérale américaine commence à resserrer sa politique de soutien, comme cela a été évoqué à plusieurs reprises au sommet du G20 à St Saint-Pétersbourg la semaine dernière. En réponse, les capitaux se retirent des marchés émergents dans la méfiance générale.Les monnaies du Brésil et de l\'Inde se déprécient. La Chine, dont le yuan est arrimé au dollar, souffre encore plus, d\'autant que sa population active commence déjà à diminuer sous l\'effet de la politique de l\'enfant unique (naturellement, ce phénomène se manifeste lorsque le pays atteint un revenu par tête plus élevé que 7000 dollars). La flambée immobilière chinoise absorberait déjà deux fois plus d\'argent que son économie réelle : d\'après les estimations, pour 3 yuans de croissance monétaire, 1 est réinjecté dans l\'économie réelle, 2 le sont dans la bulle immobilière. Or, sa masse monétaire totale s\'élève à 17000 milliards de dollars, soit 6 fois ses réserves de change. La dette des ménages est d\'un tiers du PIB - contre près de 100% lorsque la bulle a éclaté en 2008 aux États-Unis et en 1992 au Japon - et nous n\'en sommes pas encore au déséquilibre que connaissait l\'Indonésie au début de la crise asiatique de 1997 car les taux d\'intérêt mondiaux, proches de zéro, ralentissent l\'éclatement de la bulle en question, mais le constat est là : c\'est la fin du modèle quantitatif de croissance continue des BRICs tel que nous l\'avons connu jusqu\'ici au profit de la nouvelle dynamique macroéconomique globale.Une concurrence circulaire entre Chine et États-Unis. Les politiques monétaires divergent pour la première fois depuis 2008: Europe et Japon maintiennent l\'assouplissement tandis qu\'États-Unis et émergents rationalisent. Dans un contexte de croissance mitigée et de troubles au Proche-Orient, cette contradiction désoriente les marchés. L\'or, notamment, bien que souffrant de la hausse du dollar, devient une valeur refuge pour la Chine et l\'Inde, qui représentent les deux tiers de sa demande. Au point que Shanghai devrait bientôt éclipser New York comme sa première place d\'échange. Alors que les capitaux financiers, eux, circulent dans l\'autre sens, là encore de par l\'appréciation du dollar, qui rappelle le dollar : les fonds spéculatifs réinvestissent l\'économie américaine, où la richesse nette des ménages a bondi de 45% à 70 Milliards (contre 48 milliards de dollars en 2009, et 63 milliards de dollars au moment de l\'éclatement de la crise).Développement durable globalA la différence qu\'ils utilisent cette fois cette manne monétaire à des fins de désendettement, pour une croissance durable. Un reflux au détriment de la Chine donc, pour qui c\'est la fin d\'une décennie glorieuse qui avait débuté avec son adhésion à l\'OMC en 2001... Cela dit, ce mouvement pourrait à nouveau s\'inverser à l\'avenir, à son avantage. Le nouveau leader chinois, Xi Jinping, instaure méthodiquement et de façon progressive des mesures en ce sens, axées sur la rationalisation de l\'économie et la lutte contre la corruption.Quand les effets de ces réformes structurellement bénéfiques convaincront les marchés internationaux, les fonds reviendront et le revenu par habitant chinois pourrait alors dépasser 20000 dollars d\'ici 2030 (hors inflation), faisant de l\'Empire du Milieu la première puissance économique mondiale. Mais ce nouveau cycle implique également un renforcement de sa politique environnementale, pour atténuer les collatéraux de sa période de croissance effrénée que furent la pollution de l\'eau et de l\'air. En Chine comme aux États-Unis, la gestion de la croissance se veut à présent qualitative : c\'est l\'avènement du développement durable à l\'échelle globale.Une mondialisation financière bipolaire ?Si elle présente des dysfonctionnements, l\'économie \"globulaire\" contribuerait donc, à terme, à l\'amélioration de la société au sens large, puisqu\'elle amène ses acteurs à rechercher une croissance organique durable plutôt qu\'à biaiser les échanges internationaux à leur avantage. Mais d\'ici à ce que ses deux poumons Pékin et Washington parviennent à un développement équivalent, le monde risque de continuer à subir crise sur crise.Deux issues se présentent alors à cette dynamique bicéphale. Soit l\'avenir imposera un organisme de régulation suprême pour superviser la circulation des capitaux internationaux. Soit la mondialisation financière s\'inversera, vers une bipolarisation accrue des échanges Est-Ouest. Pour l\'instant, les récentes annonces du G20 (création d\'un « FMI bis » par les BRICs, doté de 100 milliards de dollars dont 41 chinois, promotion du yuan comme monnaie internationale...) semblent aller dans le sens de la deuxième option.*Philippe du Fresnay est un essayiste indépendant qui a étudié en France à l\'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), aux Etats-Unis à Webster University (Saint Louis MO), en Chine à Shanghai University of Finance and Economics (SHUFE) et à Taiwan à National Taiwan Normal University (NTNU). Il a occupé plusieurs postes en expatriation en Asie pour des groupes français et étrangers. 
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.