L'insécurité juridique permanente

L'insécurité juridique résulte de plusieurs décisions récentes. Fin 2010, la Cour de cassation a prononcé l'annulation des dispositions relatives à l'application du contrat de nouvelle embauche (CNE), en rappelant que, en application de notre Constitution, les conventions internationales ratifiées par la France sont directement transposables en droit interne et prévalent sur les dispositions d'ordre national. Les juges suprêmes ont, par la suite, précisé que les normes françaises édictées en contradiction de dispositions internationales transposées en droit interne étaient juridiquement nulles et que cette nullité présentait même un caractère rétroactif (au jour de ratification de la norme internationale).Plus récemment, toujours en matière de droit du travail, le Comité européen des droits sociaux a estimé que la France avait violé la Charte sociale européenne. Nos systèmes de « forfait jours » et « d'astreintes » contreviendraient, en effet, aux règles liées à la durée maximale du temps de travail hebdomadaire. Nos dispositions légales françaises pourraient, de ce fait, se trouver également rétroactivement annulées, la Charte sociale revêtant la nature de traité international régulièrement ratifié par la France. Cette fois, le coût, sur le plan financier, pour les entreprises serait extrêmement lourd puisque les salariés soumis au système des forfaits jours pourraient demander l'annulation du système et l'octroi de rappel de salaires sur le fondement de la législation applicable en matière d'heures supplémentaires...Cette insécurité juridique, qui règne désormais sur notre législation sociale, se révèle d'autant plus alarmante que la France est l'un des pays qui a ratifié le plus grand nombre de traités et conventions internationales au monde. Notre État a ainsi adhéré à la quasi-totalité des 180 conventions internationales édictées par l'Organisation internationale du travail (organisation tripartite rattachée à l'ONU, où siègent gouvernements, représentants des salariés et organisations syndicales). La France, pays des droits de l'homme et des libertés individuelles, s'est, en effet, toujours posée en exemple, en ratifiant tous les traités internationaux signés dans ces domaines. En outre, dotée d'un système social extrêmement performant et d'un Code du travail présenté comme l'un des plus favorables aux intérêts des salariés dans le monde, la France s'est légitimement considérée comme inattaquable. Alors, que s'est-il donc passé ?Dans les années 1980 et 1990, les réformes visant à améliorer la protection des salariés se sont multipliées. La plus présente dans nos esprits fut celle relative à la réduction hebdomadaire du temps de travail (passant de 39 à 35 heures). Les années 2000 ont été marquées, quant à elles, par un ralentissement de notre économie et par l'amorce d'une crise financière, qui éclatera véritablement en 2008. Parallèlement, les effets de la mondialisation se sont cruellement fait sentir avec l'émergence de nouvelles puissances à même de nous concurrencer sur des terrains où nous étions incontestablement leader jusque-là (c'est le cas des secteurs des hautes technologies, de l'informatique, de l'automobile, du nucléaire...).La nécessité de renforcer la crédibilité et la compétitivité de notre nation sur le marché international, doublée de la volonté de construire une Europe forte, est alors apparue comme une priorité. Le gouvernement français s'est, dès lors, attaché à assouplir, en matière sociale, les contraintes pesant sur les entreprises, en promulguant des textes revenant - plus ou moins discrètement - sur les avantages précédemment concédés aux salariés. Parfois même, peut-être un peu trop vite, sans qu'il ait été procédé à une étude suffisante sur la cohérence et la pertinence des systèmes retenus... Il est vrai que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui permet au gouvernement d'engager la procédure « accélérée » d'adoption d'une loi, ou le fait de légiférer par voie d'ordonnance, ne constitue pas forcément un gage de qualité en matière juridique...La responsabilité de notre législateur (au sens large, intégrant le gouvernement) est dès lors extrêmement lourde. Comme l'a justement rappelé la Cour de cassation, il lui appartient, en effet, de vérifier la conformité de tout projet de loi à la lumière des dispositions internationales opposables à notre pays. Obligation qu'il ne remplit manifestement pas.En matière sociale, ce manquement à cette obligation n'avait pas grande importance tant que notre législation restait plus favorable aux intérêts des salariés que les conventions internationales en vigueur. Mais aujourd'hui, cette « légèreté » met gravement en péril notre système juridique. Au-delà du problème de la conformité des règles de droit interne au regard des conventions internationales, les décisions récentes de la Cour de cassation révèlent la fragilité d'un système législatif ne respectant plus le principe constitutionnel de vote des lois, visant pourtant à garantir leur qualité juridique et leur pertinence.Ce qui est mis en exergue aujourd'hui, c'est la médiocrité (en termes juridiques) des réformes législatives entreprises ces dernières années en matière sociale. Le fait que la responsabilité de l'État puisse être engagée en raison de sa défaillance ne suffira pas à rassurer le justiciable. En effet, pour obtenir réparation du préjudice subi, une action devant les juridictions administratives devra systématiquement être engagée... Ce sont donc finalement les entreprises et les salariés qui vont pâtir des erreurs découlant des défaillances de notre « législateur », qui se montre trop pressé de revenir à un système juridique susceptible d'assurer la compétitivité de la France sur les marchés internationaux.
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