« La valeur ajoutée des complémentaires santé est nulle aujourd'hui »

En 2000, Claude Bébéar a créé l'institut Montaigne. Dix ans plus tard, vous créez l'institut Diderot. Que comptez-vous apporter de neuf avec ce « think tank » (cercle de réflexion)??Quelle que soit l'activité, il n'est pas bon qu'il y ait un acteur unique. En France, on compte 450 sociétés d'assurances. Qu'il y ait dix ou vingt « think tank », cela n'a rien d'excessif. De plus, nous n'avons pas exactement le même positionnement. Les thématiques développées par l'institut Montaigne ont un caractère plus concret que les nôtres. Notre mission est d'abord intellectuelle. Nous ne cherchons pas à avoir une approche extrêmement spécialisée des sujets abordés. Nous ne souhaitons pas non plus nous contenter d'une vision à court terme et locale, mais au contraire, porter un regard plus universel sur les problèmes abordés. L'idée de base est de s'emparer d'un certain nombre de sujets que nous considérons comme importants et complexes, et d'essayer d'amener des individualités compétentes dans leur domaine à une réflexion collective pour voir si cette approche collective va produire quelque chose de différent des approches un peu trop fragmentaires que nous avons aujourd'hui.Par exemple??Deux terrains nous intéressent particulièrement. D'abord, ce qu'on pourrait appeler la civilisation de l'automobile. Nous vivons une société qui est le fruit de l'automobile. Tout en découle?: l'habitat, les loisirs. D'où cette question?: en quoi l'évolution de ce moyen de transport va-t-elle impacter cette civilisation?? Deuxième sujet, quelles vont être les conséquences sociétales du développement des technologies de l'information et de la communication (TIC). Dans son usage grand public, Internet a quinze ans. Au regard de ce que durent les civilisations, c'est très peu. Pourtant, on observe des modifications énormes liées au TIC. À mon avis, ces conséquences sociétales seront à peu près aussi importantes que celles générées par l'automobile au cours du XXe siècle.Qui finance l'institut Diderot??Ce sont les quatre mutuelles?: MMA, Maaf, GMF et AM.Accueillerez-vous d'autres entreprises du secteur de l'assurance??D'autres sociétés d'assurances peut-être pas, mais d'autres entreprises, d'autres collectivités, pourquoi pas?? Simplement, nous ne pouvons pas faire comme les financiers?: nous ne cherchons pas l'argent avant d'avoir prouvé.Ne comptez-vous pas aborder des sujets liés à l'assurance et à la protection sociale, comme le déficit de la Sécurité sociale??Nous ne pouvons pas traiter tous les sujets et beaucoup de monde se penche déjà sur celui-là. En fait, pour qu'un problème soit résolu, il faut le comprendre, le vouloir et le pouvoir. Pour le système de santé ou le financement des retraites, il n'y a pas de problèmes de compréhension?: il y a pléthore de travaux de qualité. Il manque la volonté, qu'essaient de promouvoir des think thank et des lobbies, et la capacité, qui appartient aux pouvoirs publics. Dans la mesure où nous nous plaçons au niveau du « comprendre », nous ne pourrions être utile. Nous ne sommes pas un think tank au sens habituel du terme, car nous ne sommes au service d'aucun groupe social ou politique.Le déficit de la Sécurité sociale vous inquiète-t-il??Il n'y a qu'une seule vraie solution, mais il n'est pas sûr qu'on puisse la mettre en place?: c'est la croissance. Un taux de croissance de 3 % permettrait par exemple au pouvoir d'achat des retraités d'augmenter, ce qui compenserait la baisse du taux de remplacement des retraites. Mais depuis 1998, la croissance globale de la France est de 14 %, ce qui ne fait pas 1,4 % par an en moyenne. C'est là le vrai problème des retraites, du chômage, des déficits publics? À cause de toutes nos contraintes, de tous nos blocages, on ne parvient pas à embrayer la vitesse supérieure. Pourtant, 3 %, ce n'est pas non plus hors d'atteinte. Il n'y a pas si longtemps que cela, la France était le 9e pays au monde en termes de PNB (produit national brut) par tête, elle est maintenant 38e.Qu'est-ce qui est en cause??Toutes les rigidités. Je ne vais pas vous refaire le rapport Attali. La pierre angulaire de nos problèmes, c'est la capacité financière et on ne peut l'obtenir que dans le développement. La première solution est d'assurer un certain développement économique pour financer le système de protection sociale. Mais pour la Sécurité sociale, ce qui va finalement se passer résultera de l'absence de décision. La consommation médicale va augmenter et l'assurance-maladie obligatoire continuer son repli, car dans dix à vingt ans, la totalité de ses moyens sera captée par les affections de longue durée.La Sécurité sociale ne couvrira plus que les gros risques??Oui, cela va se passer ainsi, cela ne peut pas se passer autrement, dans la mesure où personne ne prendra de décision?Mais le coût des complémentaires santé va s'envoler. Comment feront les assurés??Ils s'habitueront.Devront-ils choisir entre épargner pour leur retraite ou payer une complémentaire santé??Je pense qu'on va devenir plus performant et plus intelligent. Aujourd'hui, les complémentaires sont traitées comme des supplétifs. Elles interviennent là où la Sécurité sociale leur demande de le faire et dans la proportion qu'elle leur indique. Et, en permanence, la position publique, c'est « Alignez-vous, faites ce qu'on vous dit », sinon on vous supprime ceci ou cela? De ce fait, les complémentaires ne sont pas très performantes, parce qu'elles ne peuvent littéralement pas l'être. La valeur ajoutée de l'assurance-maladie complémentaire est nulle?: cela consiste à savoir calculer la différence entre 100 et 70. Il faut dépasser ce stade.Que proposez-vous??Les mutuelles n'ont pas le droit d'avoir accès au dossier individuel de santé. Elles ne connaissent pas la pathologie des malades. Elles ne peuvent donc pas intervenir auprès des assurés, les conseiller? Si l'on veut avoir une vue intelligente, il faut pouvoir, à travers des médecins ? et non des administratifs ?, suivre la situation des malades. Il faut ensuite faire des actions de prévention adaptées. Enfin, il faut orienter les malades soit sur des établissements de soins qui pourraient appartenir aux mutuelles complémentaires, soit vers des réseaux de soins partenaires. La mutation de la chirurgie avec hospitalisation vers la chirurgie ambulatoire aurait été infiniment plus rapide si on avait eu notre mot à dire. La France a été le dernier pays à le faire. Pourquoi?? Parce qu'il fallait remplir les hôpitaux, parce que leurs budgets en dépendaient.Des réseaux mis sur pied par les complémentaires, cela existe déjà. Vous avez créé Santéclair. Ce n'est pas efficace??Le poids des lobbies reste fort. Santéclair avait par exemple lancé une opération sur les audioprothèses qui avait conduit à réduire de 30 % à 50 % leur coût. Un premier fabricant avait donné son accord. Le temps que nous proposions aux autres fabricants d'intégrer notre réseau, le premier était revenu sur sa décision?! La même chose s'est produite pour les patchs antitabac avec les laboratoires, parce qu'en réalité, on vit dans un monde d'oligopoles et il y a des ententes partout.Que faudrait-il pour que ce type de démarche soit une réussite??Pour qu'un réseau de santé puisse négocier véritablement avec un prestataire de soins, il faut représenter 20-25 % de son chiffre d'affaires. En dessous de 20 %, vous ne pouvez rien lui demander.Combien faut-il d'assurés dans un réseau pour garantir un niveau d'activité suffisant aux prestataires??À mon avis, une dizaine de millions de personnes. Santéclair en représente la moitié.
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