Le roman de 2012 : octobre brun pour Marine Le Pen

Mercredi 26 octobre. Marine Le Pen savourait tous ces petits moments médiatiques. Une forêt amazonienne de caméras, une nuée de micros et une foule de journalistes l'attendaient à l'issue du bureau national du FN. Vêtue du strict tailleur bleu nuit qu'elle s'imposait dans sa campagne présidentielle, elle entama sa conférence de presse par une longue digression sur « l'incurie du pouvoir » face à une panne d'électricité qui avait privé l'Alsace de courant et de chauffage pendant plusieurs heures un samedi soir. « Évidemment, railla-t-elle, Strasbourg n'a pas été touchée et que des petits villages sombrent dans la nuit, c'est un peu dans la logique de la politique suivie depuis maintenant trente ans, cette politique qui consiste à laisser mourir nos campagnes et nos paysans... »Un de ces curieux journalistes constamment équipés de petites caméras légères se leva : « Madame Le Pen... » « Oui, c'est mon nom », lança la présidente du FN. « Des informations non confirmées... » « Qui ne sont donc pas des informations », asséna Marine Le Pen. Le reporter s'enhardit : « C'est bien pour cela que je vous pose la question ! Avez-vous oui ou non rencontré Nicolas Sarkozy ? » La dirigeante d'extrême droite arbora un large sourire : « Mais plusieurs fois, mon jeune ami ! Pourquoi, vous jamais ? » « Dans quelles circonstances ? » « Quand et où ? » « Avez-vous conclu un accord pour le second tour de l'élection présidentielle ? » Les questions fusaient...Marine Le Pen ramena le calme, les deux mains levées : « Pas tous en même temps, j'ai déjà rencontré Nicolas Sarkozy, oui. Mais de là à imaginer que le Front national, dont le devoir historique, la mission sacrée, est le redressement de la France, va accepter de se lancer dans des petits calculs d'appareils politiques, pour se ménager des sièges de députés ou même des ministères, c'est mal, c'est très mal me connaître. Je fais aujourd'hui le pari, non seulement d'être présente au second tour de l'élection présidentielle, mais d'être en tête au premier tour. C'est autour du salut national, autour du rétablissement des valeurs d'ordre et de sécurité, que se fera la sortie de cette crise que nous ont imposée des décennies de gabegie financière et de politique immigrationniste. » Marine Le Pen reprit son souffle. Un texto clignotait sur l'écran de son portable. « N'en fais pas trop ! Le Pen. » « Merci Dark Vador », pensa-t-elle avec affection.Vendredi 28 octobre. François Fillon courait à petites foulées. Le parc de Matignon sentait la terre humide et l'herbe coupée. Des gendarmes postés sur les murs entourant le plus beau - mais aussi le plus secret - des jardins de Paris tapaient dans leurs gants pour se réchauffer. Le Premier ministre s'arrêta au pied de l'orme de Lutèce que Lionel Jospin avait fait planter lors de son long passage rue de Varenne. L'arbre avait été malade, à l'image du Parti socialiste français, songea le chef du gouvernement, qui avait mal dormi après le débat qui l'avait opposé la veille à François Hollande sur France 2. Plutôt bien remis de sa défaite aux primaires, le député de Corrèze avait littéralement taillé en pièces tous les arguments de François Fillon.Le Premier ministre soupira, le point de côté était lancinant. Son téléphone sonna. C'était Nicolas Sarkozy. La voix n'était pas bonne, l'humeur non plus : « J'ai eu Villepin... C'est cuit. Il veut y aller. » « En même temps Nicolas, on s'y attendait, non ? Mais il ne fera pas beaucoup de voix, on l'a asphyxié, littéralement étouffé en lui prenant ses derniers grognards. » François Fillon sourit en pensant au titre de « Libération », au lendemain de l'arrivée de Jacques Le Guen et François Goulard au gouvernement, en septembre : « Villepin : et maintenant sainte Hélène ? » Nicolas Sarkozy toussota : « Oui, bon, c'est peut-être vrai mais ça s'agite de tous les côtés, et Marine Le Pen, Marine Le Pen... » « Eh bien ? » s'inquiéta François Fillon. « Eh bien, elle veut nous faire la peau, j'ai bien compris son calcul, elle veut un 21 avril à l'endroit et à l'envers, elle nous tricote patiemment son affaire, la fille à Le Pen, son rêve, c'est de tout faire péter et, si des crétins comme Villepin, Borloo, Hulot se mettent de la partie, eh bien j'irai à la pêche avec Ségolène Royal en juin, tiens ! Je vais même finir par la trouver sympathique la dame du Poitou ! Parce que l'autre fille à papa, merci hein ! »Dimanche 30 octobre. Les feuilles mortes crissaient sous les pas. Le givre disparaissait peu à peu, conférant un éclat automnal au jardin anglais du domaine de Rambouillet. Devant la chaumière aux coquillages, deux officiers de sécurité avaient pris place, lunettes de soleil et oreillettes de rigueur. Le grésillement des ordres qui leur étaient donnés parvenait jusqu'à Marine Le Pen, qui ne s'impatientait pas pour autant. « On doit aller à la laiterie de la Reine », lâcha un des Cerbère. « Mais Madame Bruni-Sarkozy n'a pas encore accouché ! » plaisanta la présidente du Front national. Elle nota que les policiers s'étaient détournés pour ne pas afficher une quelconque réaction. Marine Le Pen haussa les épaules et suivit docilement ses guides.Devant le pavillon royal, le moteur d'une longue voiture sombre tournait. La portière s'ouvrit quand la dirigeante d'extrême droite s'approcha. Nicolas Sarkozy, mine renfrognée, s'extirpa avec une difficulté certaine du véhicule. « Un problème ? » s'enquit Marine Le Pen, pourtant totalement indifférente. « Un lumbago, grimaça le chef de l'État. On dirait que j'en ai plein le dos... Bon allons-y ! »Le musée avait été fermé, sur ordre élyséen. Marine Le Pen s'immobilisa devant la sculpture « Amalthée et la Nymphe ». « C'est étrange que vous m'ayez donné rendez-vous dans une des résidences de Marie-Antoinette », sourit-elle. « Si ça vous amuse de faire des comparaisons, souvenez-vous que ceux qui ont guillotiné Louis XVI et la reine ont fini eux aussi la tête tranchée ! » répliqua Nicolas Sarkozy. « Je vous trouve bien vindicatif », reprit la présidente du FN. « Passons plutôt aux choses sérieuses. Je vous le dis tout de go : il n'y aura pas d'accord, même en sous-main, pas même de message codé avant le premier tour de l'élection. C'est après le premier tour qu'éventuellement nous discuterons. » « Et de quoi bon Dieu ? s'emporta Nicolas Sarkozy, j'ai besoin de savoir maintenant quelles sont vos intentions. » « Mes intentions ? » Marine Le Pen faillit s'étrangler de rire : « Mes intentions ? Mais elles sont très simples : je veux le pouvoir. Le pouvoir, c'est tout. » Ses propos résonnèrent métalliquement dans le salon de marbre désespérément froid et vide.Hélène Fontanaud Vendredi prochain, Octobre rouge, suite et fin de notre série « Le Roman de 2012 ».
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