Chroniques de crises annoncées

Il est rare qu'un livre d'économie suscite autant de débats et devienne, en quelques mois, un ouvrage de référence. C'est indiscutablement le cas de « Cette fois, c'est différent » de Carmen Reinhart et de Kenneth Rogoff (*). Au travers d'une analyse détaillée de dizaines de crises financières, du Moyen Âge à l'effondrement des titres subprimes américains, ces deux économistes américains de réputation internationale nous offrent non seulement une grille de lecture pertinente de la crise actuelle mais nous ramènent aussi à une désespérante réalité, celle d'une reproduction presque à l'identique de nos erreurs passées et d'un aveuglement tenace. C'est bien leur travail historique sur plusieurs siècles, fondé sur des montagnes de données statistiques qu'ils ont constituées pour ce livre, qui donne toute sa profondeur à leur analyse.Outre les typologies des différentes crises et leurs mécanismes de propagation, leurs travaux montrent que toutes affichent des traits similaires dans leurs causes et leurs conséquences. Les parallèles sont même tellement nombreux qu'ils devraient logiquement nous instruire et nous protéger des futures turbulences. Les ressemblances sont notamment particulièrement troublantes en matière de prix de l'immobilier ou de balance des paiements. Bref, le moteur des crises reste toujours le même, celui d'un endettement excessif, paradoxalement favorisé ces deux dernières décennies par les politiques de stabilité des prix et de taux faibles. Et si, soulignent les auteurs, les bons esprits ne manquent jamais de noter les ressemblances de la situation présente avec les crises précédentes, ils mettent toujours en avant un facteur nouveau pour expliquer que les choses seront désormais « différentes ». Chacun se souvient notamment des déclarations d'Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), lorsqu'il attribuait l'apparition d'une bulle immobilière aux nouveaux fondamentaux de l'économie américaine !Cette conviction repose pour l'essentiel sur la croyance du « laisser-faire » et des vertus régularisatrices des marchés. Ce que l'histoire a souvent contredit. Ainsi, Kenneth Rogoff, pourtant ancien économiste en chef du FMI, s'est très tôt alarmé (dès 1999) de la dérégulation excessive, qu'il considère aujourd'hui comme l'un des principaux facteurs du déclenchement de la crise de 2008. La politique monétaire ne suffit donc pas à juguler les crises. Il faut lui ajouter des outils de surveillance à l'échelon international. En attendant, les lendemains s'annoncent, une fois de plus, difficiles. Les crises génèrent toujours, selon les auteurs, une décennie de croissance faible, de chômage élevé et d'endettement public massif. Sans parler d'une explosion de la dette publique. Mais, cette fois, les choses peuvent-elles être différentes ? Les auteurs en doutent. Éric Benhamou (*) « Cette fois, c'est différent. Huit siècles de folie financière », de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Éditions Pearson, 450 pages, 35 euros.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.