Diriger EDF et Veolia, soit 500.000 salariés, est-ce trop pour un seul homme  ?

Daniel LebègueOUIUne tâche inhumaine qui exigera un dédoublement de sa personnalité.Si rien, dans notre droit des sociétés comme dans le code de gouvernance Afep-Medef, n'interdit explicitement ce cumul des fonctions, la situation sans précédent du nouveau président d'EDF suscite à raison beaucoup d'interrogations et d'incompréhension, en France comme à l'étranger. Et ce, indépendamment des qualités personnelles de l'homme, car c'est la situation même de ce cumul qui pose problème. D'abord, confier la direction exécutive d'un très grand groupe public à une personne qui assume par ailleurs l'orientation et le contrôle d'un grand groupe privé sur lequel il conserve une autorité particulière en raison de son ancienneté dans la maison est en soi inédit. Sachant que, de surcroît, les deux groupes opèrent en partie dans des domaines analogues, cette situation risque de mettre le dirigeant en question en position d'avoir à arbitrer des conflits d'intérêts : lorsqu'une collectivité lancera un appel d'offres pour des services de distribution d'énergie, les deux entreprises pourront se trouver en concurrence : EDF y répondra-t-il, ou le groupe public décidera-t-il de laisser la place à la société privée ? Et réciproquement ? Par ailleurs, le dirigeant d'une entreprise publique peut faire l'objet de sollicitations de la part de l'État. Ce n'est, en principe, pas le cas d'une entreprise privée. Faudra-t-il que le même dirigeant dédouble sa personnalité ? Même s'il n'y avait pas ce conflit d'intérêts potentiel, ni même la complexité liée aux deux structures d'actionnaires, il faut bien reconnaître que diriger un groupe de 336.000 salariés d'un côté, et 160.000 de l'autre, soit près de 500.000 en tout, c'est une charge absolument écrasante. Aussi investi dans son travail et compétent soit-il, comment l'homme qui assumera cette charge organisera-t-il son emploi du temps ? Et disposera-t-il de la liberté d'esprit nécessaire alors même qu'il devra surveiller plusieurs centaines de filiales et participations de part et d'autre ? La capacité physique pour faire face à cette double fonction me paraît proprement surhumaine ! J'ai du mal à croire qu'il existe une telle rareté de talents de grands dirigeants en France que l'État n'ait pu trouver d'alternative à cette construction baroque. nIntronisé par l'Élysée président du groupe d'électricité EDF, à l'issue de longues et obscures tractations, en remplacement de PierreGadonneix, Henri Proglio, PDG de Veolia Environnement, restera aussi président du conseil d'administration du groupe de services aux collectivités. Alors que, les 27 et 28 octobre prochain, il va être soumis aux questions des membres des commissions économiques de l'Assemblée et du Sénat, il devra expliquer son projet industriel pour EDF et clarifier la nature des liens capitalistiques entre EDF et Veolia qu'il entend mettre en ?uvre. Mais il devra aussi répondre aux interrogations sur sa capacité à diriger les deux groupes. Si, dans certains groupes, le président du holding assume aussi parfois la présidence de certaines grosses filiales, ce cumul de mandats se révèle inédit par son ampleur. Propos recueillis par Valérie SegondNONEdoardo de MartinoPersonne ne peut croire qu'Henri Proglio aura en direct la gestion pleine et entière des deux groupes. S'il sera bien le président exécutif d'EDF, il ne sera que président non exécutif chez Veolia. Une situation somme toute très fréquente au Royaume-Uni, où pourtant on est très soucieux de la séparation des fonctions de gestion et de contrôle. Lorsque les deux rôles sont bien séparés, le vrai patron, c'est le directeur général, tandis que le président du conseil n'a pour mission que de convoquer le conseil, le présider et approuver la stratégie présentée par le directeur général. Ce n'est donc pas un job à temps plein, loin de là ! C'est donc la direction d'EDF qui va absorber l'essentiel de son emploi du temps. Va-t-il être débordé par cette direction ? Franchement, je ne le crois pas. Car, en dépit de sa taille, le groupe public d'électricité est un groupe relativement simple à diriger. La difficulté à gérer une entreprise ne tient pas au nombre de ses salariés, mais à la diversité de sa présence géographique, à la multiplicité de ses métiers, comme à leur compétitivité internationale. Or, ce n'est pas du tout le cas d'EDF, dont 80 à 90 % de l'activité porte sur un métier dans un pays. Qui plus est sur un marché quasi captif, sachant que l'ouverture à la concurrence n'a pas permis aux concurrents d'entamer véritablement sa position dominante. La difficulté de la fonction à la tête d'EDF tient davantage à la gestion sociale ou à la relation politique avec l'actionnaire et les élus locaux, qu'au management lui-même. Enfin, qui peut être choqué de ce qu'Henri Proglio, qui a fait toute sa carrière au sein de Veolia, qui a résisté à Messier, a réussi à redresser son groupe, témoigne d'une grande responsabilité à l'égard d'un groupe qu'il a construit et auquel il a dédié sa vie ? Sa parfaite connaissance du monde politique, au plan national comme à celui des territoires, sera d'une grande aide pour son successeur à la direction générale de Veolia et dans son job chez EDF. Finalement, le choix d'assumer ces deux fonctions démontre le sens de la responsabilité à l'égard du groupe qu'il quitte et de la disponibilité à l'égard de son nouveau groupe. Et quoi qu'il en soit, je pense que cette situation en double commande ne sera que transitoire. nLa direction d'EDF, simple à assumer, est la seule qui absorbera son emploi du temps.
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