Bercy, entre défiance élyséenne et pouvoir de blocage

Un livre de plus sur le ministère des Finances ? Telle est la première réaction à la réception de l'ouvrage de Thomas Bronnec et Laurent Fargues, « Bercy au coeur du pouvoir ». En fait, le livre vaut mieux que son titre, dont la banalité inciterait plutôt à passer son chemin. Car, au-delà des explications habituelles sur l'ardeur des hauts fonctionnaires à faire rentrer dans la proverbiale valise le non moins proverbial édredon des dépenses budgétaires, le lecteur redécouvre un ministère toujours puissant, mais en butte, depuis 2007, à l'hostilité de l'Élysée.Bercy, c'est d'abord le règne de la pensée dite unique. Au nom de la raison ? Ou à cause d'un manque d'ouverture d'esprit ? L'anecdote du dîner organisé en 1996 au ministère autour de Paul Krugman, l'économiste américain à la renommée montante, est révélatrice : alors qu'il y avait évidemment beaucoup à apprendre de cet universitaire américain, la plupart des hauts fonctionnaires conviés se défilent... C'est le « syndrome tour d'ivoire qui frappe » Bercy, soulignent les auteurs. Comme le note un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, « ce ministère est un concentré d'intelligence et de matière grise ». Mais aussi de conformisme. Les hauts fonctionnaires des Finances ne brillent guère par leur créativité. « Impossible, non compatible avec la réglementation européenne, trop coûteux » sont leurs expressions favorites, face à des propositions venant des politiques. Revers de la médaille, l'Élysée adopte souvent une attitude tout aussi catégorique et dangereuse : puisque Bercy dit non à tout, on se passera de son avis. D'où l'allégement de charges sur les heures supplémentaires, qui fait blanchir des « heures au black », ou la baisse de la TVA dans la restauration, un cadeau à 3 milliards d'euros imposé par l'Élysée, sans bénéfice économique aucun. Évidemment, cette tactique, dont le héraut n'est autre que le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, montre ses limites : si on peut annoncer le principe d'un « grand emprunt » finançant les dépenses d'avenir sans en référer à Bercy, il n'est pas possible de le lancer sans passer sous les fourches Caudines des Finances. Thomas Bronnec et Laurent Fargues narrent avec précision les avatars de cet emprunt, qu'Henri Guaino aurait voulu d'un montant de 100 milliards d'euros. Il sera finalement fixé à 35 milliards et, via quelques habiles manipulations, les Finances parviendront à limiter le surplus d'emprunt à 13 milliards en 2010... I. B. « Bercy au coeur du pouvoir, enquête sur le ministère des Finances », par Thomas Bronnec et Laurent Fargues, Denoël, 282 pages, 18 euros.
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