Un corps-à-corps dans l'atelier de Lucian Freud

Il nous regarde, dominateur, avec comme un air de dédain dans le visage. Insolent. Comme si nous existions à peine. Lui en majesté. Cet autoportrait de Lucian Freud intitulé « Reflection with Two Children » est aujourd'hui présenté à Beaubourg à l'occasion d'une exposition rassemblant une soixantaine de toiles du peintre. Il résume presque à lui seul la peinture de l'un des plus célèbres artistes anglais, petit-fils de l'inventeur de la psychanalyse. À y regarder de plus près, quelle ambiguïté ! Parce que pour se peindre, Freud a utilisé un miroir posé sur le sol, sans penser aux autres. Mais l'art dit ce qu'il a envie de dire. Il dévoile l'inconscient.Dans toutes les oeuvres dans lesquelles le nu tient une place prépondérante, Freud propose toujours un corps-à-corps avec la chair. Cette chair devenue une obsession. Seule vérité qui lui importe. Et il la pénètre avec une violence inouïe jusqu'à l'anéantir. L'entraîner vers une sorte de pourrissement. Ses corps sont presque comme des cadavres vivants. Sans pour autant que la peinture soit chargée de désespoir. Au contraire elle vit, et cela grâce à une mise en scène des compositions.Disparition des corpsDans son atelier de Notting Hill, qu'il ne quitte jamais pour peindre, tout est là en permanence. Les fauteuils défoncés, les lits défaits, les draps souillés, les chiffons maculés, les murs chargés jusqu'à disparaître sous des giclures de peinture. Sous une lumière glauque, les corps prennent la pose suivant le désir du maître dans la plus violente des nudités. Corps humains que l'on ne différencie pas toujours de l'animal. En général un chien. Un lévrier. Même décharnement, mêmes muscles saillants, proche de l'os. Freud pourtant oppose à ces corps des chairs flasques, adipeuses desquelles toutes formes ont disparu. Mais il peint comme sculptaient Rodin ou Giacometti, au-delà de la chair. Dans ce qu'elle révèle de caché.Il n'en a pas toujours été ainsi avec lui. D'abord passionné par le dessin, lorsqu'il se met à peindre, ses tableaux sont bercés par une atmosphère rêveuse, presque éthérée. Ce n'est qu'à la fin des années 1950, dans le sillage de son amitié avec Francis Bacon, qu'il trouve son style. Celui d'aujourd'hui avec un tableau manifeste « Femme qui sourit ». La mort, la disparition des corps semblent hanter le peintre. « Je dois faire ce que je ressens, sans être expressionniste », dit-il. Il l'est malgré lui. Parce qu'on le retrouve derrière chaque personnage. Blotti dans la peinture. n« Lucian Freud, l'atelier », au Centre Pompidou jusqu'au 19 juillet. Catalogue : éd. Centre Pompidou, 352 pages, 44,90 euros. www.centrepompidou.fr.
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