La responsabilité sociale, clé de la réussite

Morale et quête de sens, adhésion et responsabilité, loyauté et engagement? la crise économique et sociale que nous traversons n'est pas seulement une affaire de chiffres. Mais de mots aussi. Des mots qui indiquent qu'elle porte potentiellement en elle une crise de confiance dans l'entreprise et son management. En avions-nous besoin dans un pays où le niveau de confiance à l'égard des grandes entreprises et de leurs dirigeants était déjà si bas?? Selon la Sofres, entre 1985 et 2005, le niveau de méfiance des Français envers les patrons est passé de 25 % à 55 %.Depuis plusieurs années, on observe une mutation de la relation des collaborateurs avec leur entreprise, le rapport devenant beaucoup plus transactionnel, en particulier dans les générations montantes. Celles-ci, échaudées par l'observation constante des mouvements de restructurations, pourtant rendues nécessaires par la compétition mondiale, ont abandonné le mythe de l'employeur « à vie ». La notion de loyauté à l'entreprise se voit sérieusement écornée?: à quoi bon la fidélité si elle n'est pas mutuelle?? Emblématiques de cette tendance, les jeunes de la « génération Y » manifestent un grand cynisme envers leur employeur. Contrairement à celles qui l'ont précédée, cette génération-là s'interroge beaucoup plus sur elle-même et le sens de son engagement professionnel. La rémunération n'est plus le seul ni même le principal critère de choix.valeur repèreLe choc est d'autant plus sévère que, des années 1960 aux années 1990, croissance oblige, la place de l'entreprise dans la structure sociale n'a cessé de s'étendre. L'Église, l'Université, les partis politiques étant autant d'institutions déclinantes ou tombées en déshérence, l'entreprise occupait de plus en plus le vide ainsi créé. Son emprise sociale ne cessait donc de s'élargir, devenant même la valeur repère pour des générations entières de cadres.D'autres vagues de fond sont venus distendre le lien de confiance avec l'irruption de doutes fondamentaux?: le modèle est-il vraiment aussi équitable qu'on l'avait pensé?? Laisse-t-il réellement une place aussi grande qu'on le pensait à la méritocratie?? L'« ultralibéralisme » de la mondialisation est-il vraiment la bonne voie (et tous les pays jouent-ils le jeu??) ? Est-il pertinent d'instituer la croissance comme but ultime et critère central???Sans remettre à la mode les chèvres du Larzac, ces questions amplifiées par une réelle et indispensable prise de conscience de l'urgence environnementale ont remis sur la table des notions que l'on pouvait penser disparues dans les décombres des situationnistes des années 1960?: la croissance négative, les valeurs de frugalité, l'altermondialisme.Avant que survienne la crise, certaines entreprises avaient commencé à prendre conscience de ces évolutions et à mieux prendre en compte les enjeux de « développement durable ». Outre les nécessités de performance ou de rémunération des actionnaires, elles ont pris la mesure des responsabilités nouvelles que leur attribue le corps social?: responsabilité sociale et sociétale, protection de l'environnement, promotion des différentes formes de diversité?La crise actuelle a simplement accéléré cette perte de confiance dans l'entreprise et avivé la quête de sens. Même les cadres à haut potentiel et certains dirigeants s'interrogent aujourd'hui fortement sur les excès de la financiarisation, les abus dans les rémunérations et le coût social de licenciements motivés par les intérêts des actionnaires plus que par l'impératif de survie.sous surveillanceDans ce nouvel environnement, les entreprises sont confrontées à un défi d'image d'autant plus aiguë qu'elles ne peuvent plus, comme naguère, prétendre en garder l'entière maîtrise. Elles sont en effet désormais placées sous l'observation permanente d'instituts de mesure indépendants (comme « Great Place to Work »), de benchmarks externes (type le « Net Promoter Score » de Bain & Company) et bien sûr, de cette immense vigie que constitue le Net, avec ses forums et autres blogs qui permettent la diffusion d'opinions que l'entreprise ne peut espérer maîtriser.L'image de l'entreprise en tant qu'employeur est devenue un enjeu direct de management et de performance. En effet, de multiples études prouvent que plus les salariés sont épanouis dans leur entreprise, plus celle-ci fait la preuve de sa responsabilité sociale et mieux elle réussit. On a ainsi pu mesurer que la loyauté des employés à l'égard de leur entreprise est un facteur de rétention des clients et de réussite économique, ou qu'il existe une corrélation directe entre la pratique de la diversité et la performance économique.Ce serait une erreur que de reléguer ces problématiques au second plan des priorités sous prétexte de récession et d'effondrement du marché du travail. C'est maintenant qu'il faut s'en convaincre pour en profiter demain.Un nouveau challengeLes dirigeants ont donc dès aujourd'hui trois défis à relever pour se placer en situation de gagner cette autre bataille de la sortie de crise.D'abord, faire en sorte que leur entreprise soit authentiquement socialement responsable et qu'elle soit reconnue en tant que telle. Ce sera demain un prérequis, exigé autant par les investisseurs (le succès des fonds socialement responsables en témoigne) que par les talents. Dialogue social, diversité, environnement, bonne gouvernance? autant de valeurs qui devront être appuyées par des actes et des résultats et pas seulement par des déclarations d'intention?; par la recherche de voies innovantes d'amélioration et pas seulement par le respect de normes.Ensuite, tisser de nouveaux liens de confiance et d'engagement, qui aillent au-delà de la rémunération et qui intègrent des valeurs comme l'investissement mutuel, le développement de l'individu, la meilleure redistribution de la valeur créée (la juste répartition entre toutes les parties prenantes de l'entreprise), et le partage d'un projet d'entreprise clair et motivant. C'est un enjeu majeur pour le management à l'avenir.Enfin, la recherche permanente de l'exemplarité du leadership au plan de l'éthique, de la cohérence (dire ce que l'on fait, faire ce que l'on dit), et du respect d'un juste équilibre entre la performance à court terme et la construction du long terme, deviendra la clé essentielle d'une confiance refondée.Ces thèmes ne sont pas nouveaux et de nombreux dirigeants s'emploient chaque jour à les mettre en pratique. Mais trop peu le font aussi radicalement, avec autant de constance, de détermination et de courage dans la tempête que par beau temps. Pourtant, ce sont les dirigeants qui tiennent ce cap malgré les grains qui tireront le mieux leur épingle du jeu au sortir de la crise. Ils auront ainsi assuré au mieux la préservation des intérêts stratégiques de leur entreprise. Mais ils auront fait plus encore?: ils auront apporté leur pierre au nécessaire rétablissement de l'image de marque des entreprises et de leurs dirigeants. En somme, ils auront été socialement responsables?! nCe serait une erreur que de reléguer ces problématiques au second plan des priorités sous prétexte de récession.olivier marchal Directeur général en charge de la zone EMEA, Bain & Company.Jean-Marc Le Roux Directeur du bureau français du cabinet de conseil en stratégie, Bain & Company.
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