La retraite dorée d'Éric Woerth

« C'est clair, je souhaite rester au gouvernement », confiait à « La Tribune » Éric Woerth au début de l'année. Nicolas Sarkozy a exaucé son voeu. À vrai dire, il n'y avait pas beaucoup de risque qu'il soit débarqué. Le ministre du Budget et des Comptes publics a donc quitté mardi le 5e étage de Bercy qu'il occupait depuis mai 2007 pour devenir ministre du Travail et de la Solidarité avec une feuille de route très précise : réformer les retraites, l'ultime vrai rendez-vous de la fin du quinquennat sarkozyste.« Ce sera une réforme protectrice pour les Français », s'est empressé d'affirmer dès sa passation des pouvoirs avec Xavier Darcos celui qui, la semaine dernière encore, préparait la conférence sur les déficits publics prévue pour mai. « On ne va pas aborder les retraites sous un angle strictement comptable, a ajouté l'ancien auditeur d'Arthur Andersen. Les retraites, c'est la vie des gens, c'est plus que des chiffres. » Une réponse à Bernard Thibault, le patron de la CGT, qui réclamait comme interlocuteur « un ministre et non des ordinateurs de Bercy ».De Bercy justement, Éric Woerth arrive avec plusieurs de ses proches collaborateurs, dont Sébastien Proto, son jeune directeur de cabinet, avec qui il s'est coltiné depuis 2007 la dérive des comptes publics. Il a également toujours en charge la fonction publique, un secteur où la réforme des retraites risque d'être très sportive...À 54 ans, Éric Woerth aurait sans doute préféré un autre maroquin. Surtout pour quelqu'un dont le nom est apparu cet automne sur la liste informelle des « premiers ministrables » après que « Le Point » lui eut consacré un article élogieux titré « Le nouveau chouchou du président ». En privé, le chef de l'État ne cesse en effet de louer son sérieux et ses compétences. Claude Guéant et Raymond Soubie, les éminences grises présidentielles, l'apprécient. « Vous savez, un jour votre nom apparaît dans la liste, et le lendemain il disparaît », commente l'intéressé sur un ton faussement détaché. Justement, ce passage par la case « retraite » ne sera peut-être qu'un contretemps avant Matignon. À moins qu'il lui serve de marchepied. Car depuis sa nomination, lundi soir, la rumeur va bon train dans le microcosme politique. Si Woerth réussit la réforme « impossible » des retraites, alors il serait en situation pour succéder à François Fillon, qui devrait quitter son poste fin 2010 ou début 2011. Woerth pourrait alors gérer la « pause » dans les réformes, promise par Nicolas Sarkozy, pendant que celui-ci préparerait une seconde candidature à l'Élysée.À l'heure où le chef de l'État veut donner l'impression de rassembler toutes les familles de la droite en appelant au gouvernement le chiraquien François Baroin ou le villepiniste Georges Tron, Éric Woerth présente l'avantage de représenter plusieurs sensibilités à lui seul : il a été tour à tour chiraquien, juppéiste avant de devenir sarkozyste. Dominique de Villepin est le seul avec qui il ne semble pas entretenir d'atomes crochus bien que les deux hommes aient été tous les deux des collaborateurs directs d'Alain Juppé. En 2005, arrivant à Matignon, Villepin commet la maladresse de laisser Woerth sur le carreau lorsqu'il compose son équipe. L'ancien secrétaire d'État du gouvernement Raffarin 2 lui en tiendra rigueur. Est-ce pour se venger que Woerth affirmera quelque temps plus tard dans une interview au « Figaro » : « On peut être chiraquien et soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy à l'Élysée » ?Entre l'hyperactif Sarkozy et le taciturne Woerth, rien ne prédisposait pourtant à un rapprochement. Le curriculum vitae de ce dernier ne pouvait que déplaire au premier : une carrière politique entamée sous la houlette de Jean-François Mancel, ancien secrétaire général du RPR inféodé à Chirac, un poste de conseiller parlementaire d'Alain Juppé à Matignon, trésorier de la campagne présidentielle du même Chirac en 1995 et 2002, fondateur du Club de la Boussole réunissant des jeunes parlementaires chiraquiens après la réélection de leur mentor... D'ailleurs, lorsque l'actuel chef de l'État prend la présidence de l'UMP en 2004, personne ne donne cher de la longévité d'Éric Woerth comme trésorier du mouvement. « Nous avons eu alors une franche conversation et nous avons conclu qu'on pouvait travailler ensemble », explique-t-il. Visiblement, le courant est bien passé puisque Woerth a été le trésorier de la campagne de Sarkozy en 2007 comme il l'avait été à deux reprises pour Chirac. Et il pourrait à nouveau le redevenir en 2012 s'il n'est pas alors à Matignon.Pour Sarkozy, Éric Woerth possède un autre avantage : il connaît parfaitement l'UMP de l'intérieur pour en avoir été directeur administratif et financier en 1993. Le nouveau ministre du Travail en demeure toujours le trésorier. Il préside même Le Cercle, un club très fermé qui regroupe les gros donateurs du parti. Depuis trois ans, il a réuni une quinzaine de fois ces généreux mécènes en présence du chef de l'État, comme début décembre dans les salons du Bristol. Ce qui a valu au ministre du Budget de l'époque une volée de bois vert des socialistes sur le thème du mélange des genres entre fonctions gouvernementales et engagement partisan.Comparé à François Fillon ou Jean-François Copé, Woerth pâtit pourtant de son apparence austère digne d'un ordonnateur de pompes funèbres et d'un côté techno et apparatchik. Jusqu'à présent, sa « cote d'avenir » mesurée par les sondages n'a d'ailleurs jamais décollé. À la différence du maire de Meaux, celui de Chantilly n'a jamais senti le besoin de constituer d'écurie à ses couleurs. Tout au plus dispose-t-il de 1.400 amis sur Facebook... Les petits déjeuners et les dîners qu'il organisait à Bercy pour des parlementaires UMP avaient surtout une connotation budgétaire et fiscale. Les considérations politiques n'intervenaient qu'en fin de repas.Politique, le nouveau ministre du Travail l'est pourtant au moins autant que d'autres dans la majorité. Depuis que, à 21 ans, il s'est présenté sans succès aux municipales à Creil, ce fils de médecin et petit-fils d'ingénieur alsacien, venu s'installer au début du siècle dans l'Oise, a engrangé les mandats : conseiller régional de Picardie, maire de Chantilly, député de l'Oise et ministre. Il a été membre du comité central du RPR auquel il a adhéré au lendemain de la victoire de la gauche en 1981, et il est toujours aujourd'hui président départemental de l'UMP de l'Oise. Le bon élève de la sarkozie a désormais six mois pour démontrer qu'il n'est pas qu'un ministre technicien. Patrick Coquidé
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