Le design au féminin pluriel

Strasbourgeoise, son diplôme de Camondo en poche, Marie-Christine Dorner largue les amarres. Un billet tour du monde en douze escales, direction l'Asie. Dans le désordre : la Chine en train, la Corée du Sud, la Thaïlande, les Philippines, Taiwan et puis le Japon. Elle doit y passer quinze jours, elle y restera un an car elle a décroché en 1986, le premier et unique emploi salarié de sa vie auprès de la société Idée. « Au bout de huit jours j'avais rencontré le président de la société, Teruo Kurosaki qui en réponse à une demande de collectivités, magasins et restaurants cherchait à familiariser les Japonais avec le mobilier occidental. J'ai créé pour lui ma première collection de 16 pièces inspirée de l'origami (art traditionnel japonais du papier plié). » Le Japon l'influence. Elle travaille sur l'épure et la fonction. Elle est particulièrement marquée par la faculté qu'ont les japonais à faire cohabiter leurs traditions avec le présent le plus contemporain.En 1988, l'Hôtel la Villa à Saint-Germain-des-Près est un tournant médiatique dans sa carrière. Elle redécouvre en même temps ses racines européennes, les matériaux, les savoir-faire : « Je suis, dit-elle, dans la recherche des choses bien faites par des spécialistes qui les maîtrisent. » À LondresPuis Marie-Christine Dorner « disparaît » pendant douze ans à Londres. Sa production n'a jamais été très importante, elle travaille sur des thèmes très différents. Ils incluent l'infiniment grand comme l'infiniment petit puisqu'ils se déploient de la tribune présidentielle du 14-Juillet qui trône place de la Concorde depuis 1990 à des bagues en porcelaine créées pour Bernardaud en 2008. Bref, son parcours atypique déroute certains. Qu'importe, cette curieuse continue d'explorer. « J'aime ce métier, reprend-elle, parce qu'il englobe toute sorte de domaines et toutes sorte de gens. Un projet, un meuble ne sont pas l'oeuvre du seul designer mais d'une équipe. Il faut être à la fois, flexible, diplomate et fort pour savoir écouter ce que les autres ont à dire sans perdre l'idée maîtresse de l'objet ou du projet. » Exercices de styleElle continue d'avaler les kilomètres, missionnée par le ministère des Affaires étrangères et celui de la Culture pour « lifter » ambassades de France et consulats. Un exercice de style qu'on imagine compliqué, qui tient à la fois de la restauration, de la conservation et de la création et où on n'a pas une totale carte blanche. À Manille, Taipeh, Kuala Lumpur, Port Moresby elle met en place sa version de la mondialisation. « Comme designer français, travaillant pour la France à l'étranger, je m'attache à mettre en avant les artisans, les savoir-faire, les matériaux locaux. On économise ainsi beaucoup de frais de transport ce qui est bon pour l'écologie, j'apporte du travail sur place. En même temps, cela crée un partenariat diplomatique intéressant. » Elle mène de front sa réflexion personnelle à travers notamment la collection « Une Forme, One Shape » créée à Londres en 2004, exposée simultanément chez Sabine Sauter à la galerie Haute Définition à Paris et à Tokyo qui stipule que la forme ne suit pas forcément la fonction : ainsi une bague agrandie peut devenir un objet ou un meuble et pourquoi pas un « passage » ? Une réflexion qui se poursuit à travers des projets inédits comme de dessiner pour « La Tribune » le premier trophée de sa carrière de designer. Une fenêtre sur l'avenir« Pour ces femmes qui réussissent "comme des femmes" mais aussi bien que les hommes dans des univers à haute densité masculine, j'ai recherché une esthétique intéressante qui donnera envie de le garder ? ce qui n'est pas toujours les cas ? et voulu qu'il affiche une certaine féminité. Le côté plat ? antique- rutilant posé sur un socle noir ? avec plaque d'identification vissée dessus, très peu pour moi. J'avais envie de supprimer toutes ces accumulations inutiles. Ma démarche dans le design est de travailler avec les matières que l'on doit respecter et ainsi respecter l'environnement. J'ai donc fait un objet mono bloc et mono matière en résine moulée et gravée, argent pour les lauréates des cinq catégories. Côté symbole j'ai travaillé sur trois thèmes : la force, la féminité et le futur. » Résultat, un objet vertical pincé en son milieu pour créer des courbes et qui dessine une fenêtre ouverte sur l'avenir. S'est posé alors le problème des deux prix spéciaux, Marie Christine Dorner ne souhaitant pas de trophée jumeau a opté pour une différence complémentaire, formant un ensemble. D'où deux trophées de proportions et de matière identiques aux premiers mais droits et recouverts d'une projection or. « J'ai trouvé qu'un trophée pour les femmes dans ces métiers à dominante masculine était une bonne idée car elles ont besoin de reconnaissance, de visibilité... d'être mises sur un piédestal. » Une étape de plus dans le parcours de Marie Christine Dorner qui lorsqu'elle parle du design des femmes dit : « Ne généralisons pas mais on peut trouver des différences entre le design des deux sexes. Le fait de vivre plusieurs vies à la fois ? familiale et professionnelle ? d'observer différents milieux permet aux femmes de découvrir très vite le détail qui manque, la solution à apporter. Elles sont peut être une vision un peu plus pratique des choses... elles projettent une sorte d'humanité confortable. »
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