La Catalogne regarde vers l'Europe

Nouvelle proie des marchés après le sauvetage irlandais, l'Espagne suivra avec attention les élections régionales catalanes dimanche : la Catalogne est en effet la région la plus riche du pays et aussi l'une des plus peuplées, avec plus de sept millions d'habitants. Le verdict des urnes est donc particulièrement significatif au niveau national, six mois avant que les autres régions ne se prononcent, en mai prochain, sur leurs propres dirigeants.« La Catalogne, c'est le Portugal ou la Grèce, en PIB ! » répète à l'envi Philippe Serman, directeur général de la chambre de commerce et d'industrie française de Barcelone. La comparaison semble malheureuse alors que ces deux pays sont deux des problématiques PIGS. D'autant que la Catalogne a vu la note que lui attribue Moody's passer de A1 à A2 en octobre. La dette de la région est en effet la plus élevée d'Espagne à 105 milliards d'euros, soit 10 % du PIB espagnol ! Pour pallier les difficultés à se financer sur les marchés, le gouvernement régional a d'ailleurs émis récemment 3 milliards d'euros de bons régionaux à un taux de 4,75 %, destinés aux particuliers.De là à considérer la Catalogne comme le maillon faible de l'Espagne, il y a loin : elle reste le premier contributeur au résultat national en apportant 18,6 % du PIB. Madrid la talonne toutefois avec un apport de 18 %. Cependant, la région du nord-est de l'Espagne ne se situe qu'au quatrième rang espagnol en termes de PIB par tête, au- dessus néanmoins de la moyenne nationale.Riche est la Catalogne... Mais est-elle prospère ? La région est l'une des plus durement touchées par la crise, avec une baisse du PIB de 4,1 % en 2009, contre celle de 3,6 % du PIB espagnol. Le taux de chômage de 17,4 %, s'il reste moins élevé que dans le reste du pays (19,8 %), est considérable. Par ailleurs, jusqu'à l'éclatement de la crise, la Catalogne a crû régulièrement, mais pas autant que la majorité des autres communautés autonomes. « La Catalogne a moins investi dans l'immobilier que le reste de l'Espagne », explique Joan Pujol, secrétaire général de Foment del Treball, le Medef catalan. La région en a donc tiré moins de profits.La moindre exposition de la Catalogne au facteur immobilier, épicentre des tracas espagnols depuis la crise, ne l'a pas empêchée d'être victime de la chute du secteur de la construction et de dégringoler en 2009. Son modèle basé sur l'industrie l'a par ailleurs pénalisée. En 2009, année noire d'une crise marquée par les fermetures d'usines et les plans sociaux, la production industrielle a baissé de 15,7 %. Le départ de Sony, qui fermera les portes de son usine de fabrication de téléviseurs en décembre, est emblématique de cette tendance. Cela n'empêche pas de bonnes nouvelles : le fabricant automobile chinois Chery négocie actuellement avec le gouvernement de la Catalogne l'installation dans la région d'une de ses usines. Les espoirs catalans ont toutefois été refroidis par l'accord passé dernièrement entre le géant chinois et une région turque. L'industrie catalane n'est pas épargnée par la concurrence des marchés émergents.Elle ne représente qu'environ un cinquième de l'économie catalane mais une partie du secteur tertiaire en dépend. « Si le moteur industriel s'arrête, les services n'avancent pas non plus », affirme Pedro Nueno, professeur à l'IESE Business School. En 2010, le secteur tertiaire est toutefois soutenu par la manne que constitue le tourisme, qui a contribué à la baisse du taux de chômage de 3 points au troisième trimestre.Les représentants des entreprises, les économistes, les politiques misent donc sur l'industrie pour sortir durablement de la crise. Le tissu industriel catalan est diversifié, quoique dominé par le secteur automobile, qui représentait, en 2008, 27 % des ventes de l'industrie manufacturière selon un rapport de Deloitte. Pedro Nueno a calculé que ce secteur emploie directement et indirectement environ 1,5 million de personnes en Catalogne. Les industries pharmaceutique, chimique, textile sont aussi bien représentées. Aujourd'hui, les entreprises de ces secteurs traditionnels commencent à diversifier leurs activités vers des secteurs plus sophistiqués comme l'aéronautique ou la biotechnologie. Ces dernières années, les clusters dans ces domaines ont poussé comme des champignons, et font la fierté des économistes.La rentabilité de cette reconversion ne sera toutefois pas immédiate : « Dans dix ans peut-être, on pourra dire que la biotechnologie s'est substituée à certains secteurs traditionnels », relativise Manel Balcells, président de Biocat, cluster de la biotechnologie catalane. L'ère de la toute puissante automobile n'est donc pas terminée : « Le futur de la Catalogne passe encore par l'automobile », affirme Pedro Nueno. La voiture électrique est d'ailleurs l'un des paris de la région.Dans l'immédiat, la sortie de crise passe par les exportations, boostées par la reprise des marchés internationaux. Les premiers signes, timides, du retour à la croissance ont fait leur apparition : la production industrielle a ainsi crû de 5,9 % au deuxième trimestre, sur la lancée du premier. Le PIB a néanmoins baissé de 0,3 % contre 0,1 % en Espagne au deuxième trimestre. Les exportations de la région sont en pleine expansion, en hausse de 9,3 % au second semestre, et représentent 28 % des ventes espagnoles à l'extérieur.Forte de cette ouverture sur l'extérieur, « la Catalogne réduit sa dépendance au marché espagnol », affirme Carles Vergara, professeur à l'IESE Business School. La stratégie catalane n'est pas sans rappeler celle de grandes banques comme Santander et BBVA qui parient sur l'extérieur pour faire baisser le poids de l'Espagne sur le compte de résultats. Une stratégie qui pourrait s'avérer salvatrice dans le cas où l'Espagne serait obligée de demander l'aide de l'UE, comme l'Irlande dernièrement. « Dans le cas - plus qu'improbable - où l'Espagne chuterait sous la pression des marchés, la Catalogne s'en sortirait mieux que les autres régions grâce à la diversité de son industrie et à son internationalisation », affirme Manel Balcells.La crise de la dette en Europe commence à entrer dans la campagne électorale. Une porte-parole de CiU, parti régionaliste conservateur en passe de gagner les élections selon les sondages, affirme que cette crise conforte le parti dans l'ordre de ses priorités : « La priorité n'est pas un référendum sur l'indépendance mais bien la façon dont nous sortons la Catalogne de la crise. » Sûr de sa victoire, le leader du parti, Artur Mas, affirmait mercredi pendant un meeting qu'« il y a un petit pays dans le sud de l'Europe qui enverra un signe positif dimanche ».Gaëlle Lucas, correspondante à MadridLire également page 8
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