L'édito de Philippe Mabille : du FMI dans le FME

Bien sûr, les grincheux pourront toujours regretter, à raison, le compromis peu glorieux conclu jeudi soir à Bruxelles par les Seize de la zone euro, impliquant le Fonds monétaire international dans le mécanisme d'assistance financière aux pays connaissant des difficultés budgétaires. Bien sûr, l'Europe mérite mieux que cet étalage d'égoïsmes nationaux et d'intérêts électoralistes, où Angela Merkel a perdu beaucoup de sa superbe européenne, faisant regretter ce temps béni où l'Allemagne était conduite par un Adenauer ou un Kohl. En brisant verbalement le tabou de l'éclatement de l'euro, en imposant le FMI dans un éventuel plan de sauvetage de la Grèce, contre son ministre des Finances, Wolfgang Schaüble, qui proposait un FME, un fonds monétaire exclusivement européen, la chancelière a mis l'accent sur les limites de la solidarité allemande. Mais c'est oublier qu'en 1992 les Allemands n'ont dit oui... qu'à un euro allemand. Inutile donc de jouer les étonnés ou les Candide. Ce qui s'est passé ces dernières semaines à l'occasion de la crise grecque était prévisible, et la conclusion heureuse, au moins provisoire, de cet épisode heurté de la construction monétaire européenne (qui en a vu d'autres au cours de sa jeune histoire) était presque écrite d'avance. L'Europe a toujours avancé ainsi, en crabe, à coups de tensions, de crises et de compromis successifs. On peut donc aussi pour une fois regarder le verre à moitié plein et faire preuve de pragmatisme. Oui, l'accord de Bruxelles est historique, en proposant pour la première fois le chaînon manquant, politique, à une construction exclusivement économique et monétaire. Oui, cela marche, du moins pour l'instant : les taux d'intérêt sur la dette grecque se sont détendus. Certes, pas encore assez pour desserrer totalement l'étau financier sur ce pays, mais les Grecs doivent aussi compter sur eux-mêmes pour retrouver le crédit des marchés. Oui, les marchés ont reçu un message politique suffisamment fort pour y regarder à deux fois avant de continuer à attaquer la zone euro. La situation ressemble à celle qui a prévalu à partir d'août 1993, quand, pour sauver le franc, l'Allemagne avait accepté un élargissement des bandes de fluctuation du SME, mettant ainsi le risque du côté des spéculateurs. Ceux-ci savent désormais qu'en cas de problème pour couvrir un emprunt la Grèce trouvera les financements nécessaires. Les détails de l'accord restent flous, dites-vous ? Mais c'est exprès, pour ne pas donner aux marchés les moyens de tester la portée de cet engagement général, qui concerne autant la Grèce que tout autre pays de la zone euro. Bien sûr, aussi, le plan adopté jeudi ne résout en rien ni les problèmes de la Grèce ni ceux des autres pays en difficulté. En décidant que les prêts seront accordés à taux de marché, et non pas à ceux, subventionnés, du FMI, l'accord maintient une forte pression pour que les pays les plus laxistes sur le plan budgétaire mettent en oeuvre les réformes nécessaires. Au vu de l'ampleur des tricheries de la Grèce qui a acheté du temps depuis dix ans par sa créativité comptable, cette discipline toute allemande n'est pas totalement hors de propos. On peut y voir la marque d'une déflation Merkel imposée à toute l'Europe pour protéger, derrière la valeur de la monnaie, les intérêts des rentiers. On peut s'inquiéter des risques de voir les peuples se révolter si la potion d'austérité devient trop amère. Mais la crise que nous venons de traverser a montré que l'euro était un puissant révélateur des écarts de compétitivité : ceux qui ont voulu l'ignorer en payent un prix élevé. Il aurait peut-être fallu qu'ils en prennent conscience plus tôt. Espérons que cette leçon ne sera pas oubliée. Faute de quoi on peut craindre que d'autres crises viennent demain tester à nouveau les forces de rappel du projet européen.
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