Allemagne : un salaire minimum pour quoi faire ?

La question du salaire minimum unique va être au centre des discussions pour la formation d\'une coalition en Allemagne. Mais si les Sociaux-démocrates parviennent à imposer leur revendication d\'un salaire minimum pour tous,  les performances de l\'économie allemande s\'en ressentiront-elles ? C\'est ce qu\'a laissé entendre mercredi soir, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann. Mais qu\'en est-il vraiment ?Une généralisation plus qu\'une création ex nihiloPremier constat : le système du salaire minimum existe déjà en Allemagne. Mais il n\'est pas unique. Il est fixé pour certaines branches, environ une dizaine, et, à l\'intérieur de chaque branche, le salaire minimal varie toujours entre les Länder et de l\'est et de l\'ouest, avec parfois un niveau intermédiaire spécifique pour le Land de Berlin. Bref, c\'est un système complexe qui vise à préserver la compétitivité de chaque secteur et la rentabilité des entreprises.C\'est ce système « à la carte » que la CDU entendait généraliser avec sa proposition de « limite basse des salaires » qui fixait un niveau en deçà duquel on ne pouvait descendre par branche et par grandes régions. Mais les Sociaux-démocrates, qui ont été à l\'origine entre 2005 et 2009, de ces salaires minimums flexibles, se sont désormais convertis à un système plus rigide. Ils pourraient donc obtenir comme prix de leur ralliement à la chancelière la fixation d\'un salaire minimum unique et commun à toute l\'Allemagne à 8,50 euros bruts de l\'heure.Répartition des bas salairesUne étude assez complète de l\'institut DIW de Berlin, parue mercredi, fait le point sur les conséquences concrètes de l\'introduction d\'une telle mesure. Aujourd\'hui, selon ces chercheurs, 17 % des salariés allemands reçoivent un salaire inférieur à 8,50 euros de l\'heure. Ils sont pratiquement deux fois plus nombreux à l\'Est, où ils représentent 27 % des salariés, qu\'à l\'Ouest, où ils ne constituent que 15 % des salariés.Ce type de bas salaires est particulièrement répandu chez les personnes n\'ayant pas de diplômes (34 % de cette population), chez les jeunes (44 %) et chez les personnes ayant une activité restreinte de quelques heures (54 %). Les femmes représentent 62 % des personnes payées en dessous de ce seuil.En termes sectoriels, outre l\'agriculture qui fait un usage intensif des bas salaires (34 % des salariés touchent moins de 8,50 euros de l\'heure), les services à la consommation et aux entreprises sont ceux qui font le plus usage de ces bas salaires. La moitié des salariés payés en deçà du futur salaire minimum sont actifs dans les services à la consommation.37 % de plus pour les salariés, 3 % de coûts en plus pour les entreprisesPour toutes ces personnes, l\'introduction d\'un salaire minimum serait une mesure notable. Selon le DIW, leur salaire augmenterait en moyenne de 37 %. Si dans le secteur de l\'énergie, la hausse salariale ne serait que de 15 %, dans le secteur des services aux entreprises, elle atteindrait 39 %. Néanmoins, la facture finale pour les entreprises serait plus faible.Le DIW estime que la masse salariale des entreprises allemandes augmenterait de 3 % en moyenne : les secteurs les moins touchés seraient les services financiers et l\'énergie dont les coûts salariaux resteront stables. En revanche, les services aux particuliers (hausse de 4 %), aux entreprises (+3 %) et l\'agriculture (+6 %) seront plus sensibles à la mesure.Plus la taille de l\'entreprise est importante, moins le salaire minimum sera douloureux. Globalement, donc l\'impact sur la compétitivité sera très faible, car les entreprises qui exportent seront peu touchées.Une bonne formule ?A première vue, donc, le salaire minimum permet d\'améliorer sensiblement le niveau de rémunération des personnes les moins bien payées, tout en étant relativement supportable pour les entreprises. D\'autant que l\'on peut espérer que le secteur de la consommation profite de ces augmentations massives en partie.Mais l\'étude du DIW se veut plus circonspecte. Si les chercheurs conviennent qu\'un tel salaire minimum « réduirait les inégalités de salaires au sein des entreprises », il n\'est pas réellement efficace, selon eux, pour réduire les inégalités de revenus au sein de la société et pour combattre la pauvreté.Pas de vraie réduction de la pauvretéSelon les calculs de l\'institut, le coefficient de Gini, indicateur utilisé pour mesurer l\'inégalité au sein d\'une économie ne bougerait pratiquement pas en Allemagne avec l\'introduction d\'un salaire minimum à 8,50 euros bruts de l\'heure. Il est actuellement de 0,276, il passerait à 0,2743…« Les salariés qui touchent les plus bas salaires ne sont en aucun cas tous concentrés dans les niveaux de revenus les plus bas, ils sont répartis dans l\'ensemble du spectre de revenus des ménages », rappelle l\'institut qui ajoute : « les bas salaires sont souvent combinés au sein d\'un ménage avec un revenu moyen ou un revenu élevé. »De même, le pouvoir d\'achat n\'augmente pas toujours. Outre une hypothétique hausse des prix évoqué par le DIW dans les secteurs les plus sensibles à l\'introduction du salaire minimum, la hausse d\'un bas salaire peut conduire à une hausse d\'impôt ou à une réduction des transferts sociaux d\'un ménage et, ainsi, se révéler nul en termes de gains de pouvoir d\'achat.Quels conséquences sur l\'emploi ?Reste la question de l\'emploi. Ce point est évidemment le plus polémique et celui qui a le plus intéressé la littérature scientifique. La théorie néoclassique considère qu\'un niveau de prix fixé par l\'État sur le marché de l\'emploi empêche l\'ajustement « naturel » de l\'offre et de la demande. Il créé donc un déséquilibre qui débouche sur du chômage supplémentaire.Plusieurs études ont cependant modéré cette vision et le DIW doit reconnaitre - comme Jens Weidmann mercredi - que « les effets du salaire minimum sont, d\'un point de vue théorique, incertains et dépendent de plusieurs paramètres comme la structure du marché, les institutions du marché du travail et le niveau du salaire minimum. »Le DIW indique donc qu\'il est très difficile d\'évaluer l\'impact de l\'introduction des salaires minimums dans les branches qui en sont dotés en Allemagne. Et qu\'il lui est donc difficile de juger de l\'impact d\'un salaire minimum unifié à 8,50 euros de l\'heure sur l\'emploi allemand. Même s\'il estime qu\'il sera sans doute trop élevé.Des secteurs touchés, mais pour quels effets ?La situation particulière du marché allemand où règne une pénurie de main d\'œuvre dans certains secteurs même sous-qualifiés ou encore la flexibilité du marché qui ne sera pas remis en cause par le salaire minimum pourrait permettre d\'amortir un choc qui, on l\'a vu, reste très modéré en termes financiers pour les entreprises.Certes, certains secteurs, notamment l\'agriculture qui a fondé sa compétitivité internationale sur les bas salaires, ou certains services, pourraient être tentés de gagner en productivité et donc de débaucher. Mais il est difficile de savoir si ces personnes ne pourront pas retrouver un emploi dans d\'autres secteurs moins sensibles au salaire minimum. Pour Jens Weidmann, comme pour les économistes libéraux allemands, l\'effet nocif du salaire minimum sur l\'emploi paraît évident :« Même si un salaire minimum n\'influence pas directement le chômage, il peut avoir un effet négatif sur la dynamique de l\'emploi, car il existe le risque que les entreprises, dans la croissance, embauche moins », a affirmé mercredi le patron de la Buba.Une mesure pour rien ?Comme le souligne le DIW, si l\'Allemagne introduit ce salaire minimum unique, ce sera un « cas expérimental» qui fera sans doute l\'objet de nombreuses études d\'économistes. Mais qui pourrait aussi n\'être qu\'un coup d\'épée dans l\'eau. Le salaire minimum à 8,50 euros des Sociaux-démocrates pourrait être aussi neutre en termes d\'emplois qu\'en termes de lutte contre les inégalités.A LMIRE >>>> L\'étude complète du DIW (en allemand).
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