Quarante ans d'erreurs dans la lutte contre le chômage

En matière d'emploi, il n'y a pas de miracle : pour résorber le chômage, il faut de la croissance. C'est à cette conclusion toute simple que parvient l'économiste Philippe Askenazy, dans son dernier ouvrage « les Décennies aveugles ». Une conclusion qui pourrait paraître simpliste, à courte vue. Elle ne l'est pas, en l'occurrence. Car elle résulte d'un véritable passage au scanner des politiques économiques menées en France, souvent en pure perte depuis que le chômage a pris de l'ampleur, c'est-à-dire depuis les années 1970. À rebours de nombre d'idées reçues, Philippe Askenazy ne croit pas en l'existence d'un mal français, d'une spécificité franchouillarde - trop d'État, trop de paresse... - qui serait à l'origine d'un chômage souvent plus important ici qu'ailleurs. Non, on devrait plutôt parler d'occasions manquées et d'une grande constance dans l'aveuglement. Toutes tendances confondues, « la plupart des gouvernements, obsédés qu'ils étaient par le retour rapide au plein emploi, ont commis des erreurs majeures qui ont progressivement élevé des obstacles », souligne l'auteur.Aveugles, les politiques français n'ont pas voulu voir les mutations profondes des économies, et donc des marchés du travail, intervenues à partir des années 1970. Ils se sont souvent contentés de politiques macroéconomiques de court terme. Accompagnées, s'agissant plus particulièrement de la question de l'emploi, de la stigmatisation de certains publics. Les immigrés furent d'abord désignés responsables de la montée du chômage, puis les jeunes, et enfin les femmes, auxquelles on a réservé les emplois à temps partiel, encouragés, avant de s'apercevoir qu'ils émiettaient davantage les emplois qu'ils n'en créaient... En février 1976, un Jacques Chirac, alors Premier ministre, déclarait en toute simplicité : « Un pays dans lequel il y a 900.000 chômeurs mais où il y a plus de 2 millions de travailleurs immigrés n'est pas un pays dans lequel le problème de l'emploi est insoluble. »Nombreuses aussi ont été les politiques visant à « sortir » du marché du travail des publics de plus en plus nombreux. Notamment les seniors, à coups de préretraite, ou les jeunes, parqués dans des stages aux appellations diverses. Des politiques efficaces seulement à très court terme.Puis, s'est imposée l'idée, au début des années 1990, d'une nécessaire plus grande flexibilité. Dans les grands pays européens, elle a été atteinte. Y compris en France, où l'envol des embauches à la fin des années 1990 s'est accompagné de celui de l'emploi précaire (CDD, intérim...). « La flexibilité du marché du travail est de fait atteinte partout sans avoir tenu la promesse d'amélioration des opportunités d'emploi », estime Philippe Askenazy.Que faire, alors ? « Il faut retenir un positionnement ?industriel? de l'État, une intervention directe sur les structures. » Industriel s'entend ici au sens très large. Il s'agit de cerner les besoins futurs, des entreprises comme des consommateurs, pas seulement en France. Et ne pas se tromper de cible. Les emplois « verts », par exemple, relèvent d'un mythe dangereux, conduisant à orienter les jeunes vers des postes précaires et peu qualifiés. Au-delà du nécessaire investissement dans l'éducation et la formation - à l'inverse de ce qui se pratique actuellement -, Philippe Askenazy suggère par exemple d'investir dans « l'industrie de la formation supérieure et de l'innovation ». Pourquoi ne pas miser sur le tourisme éducatif, en plein développement, en attirant de nombreux étudiants étrangers, payants, bien sûr ? La santé est aussi un secteur appelé à croître, créant de nombreux emplois. Bref, des besoins existent, il faut savoir y répondre.Une conclusion à la fois pleine d'espoir et... inquiétante, tant l'appel de l'auteur à « retrouver une ambition économique et sociale pour la France » sonne comme un volontarisme un peu suranné. Ivan Best
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