Déficit story : aux origines du ratio des 3 % de PIB

Avec une régularité de métronome, le programme pluriannuel de finances publiques présenté hier par la France promet de ramener nos déficits publics de 7,7 % du PIB cette année à 3 % en 2013. Mais d'où vient ce chiffre inscrit en lettres d'or dans le traité de Maastricht?? Ce chiffre quasi chamanique, répété comme un mantra, et au-dessus duquel vont être appliquées par Bruxelles des sanctions financières dans le cadre du Pacte de stabilité renforcé en cours de discussion??C'est là que la petite histoire rejoint la grande. Ce ratio désormais universel a été inventé par la France, au cours de l'été 1981, dans un obscur bureau de la Direction du budget pour offrir au nouveau président socialiste François Mitterrand une arme pour résister aux appétits dépensiers de ses ministres?! C'est ce que raconte, dans un document qu'il nous a adressé le 5 août dernier, Guy Abeille, qui fut chargé de mission à la direction de la synthèse budgétaire au tournant des années Giscard-Mitterrand. Dans un texte à la plume fleurie (*), M. Abeille explique comment un soir de juin 1981, sur l'instruction de Pierre Bilger (alors numéro deux de la Direction du budget, sise rue de Rivoli), lui-même requis par une « demande urgente et personnelle du président », il a imaginé avec son chef de bureau, Roland de Villepin (oui, le cousin de Dominique), « une règle, simple, utilitaire, mais marquée du chrême de l'expert, et par là sans appel, vitrifiante, qu'il [François Mitterrand] aura beau jeu de brandir à la face des plus coriaces de ses visiteurs budgétivores ».Tout est dit, mais comment faire?? Les deux compères regardent du côté des dépenses, puis des recettes, pour finalement se convaincre que la voie la plus novatrice, jamais employée jusque-là, en tout cas dans la communication politique, consiste à rapporter le montant du déficit au produit intérieur brut. Ne plus communiquer sur un chiffre en valeur absolue, mais un pourcentage. Al'époque, Giscard lègue à Mitterrand un déficit de 50 milliards de francs et la gauche se prépare allègrement à dépasser la barrière des 100 milliards (aujourd'hui c'est en euros !), un montant que même dans leurs cauchemars les plus fous, les budgétaires d'alors se refusaient à imaginer. Va pour 100 milliards de francs?: rapporté à la richesse produite en France en 1981, cela donne, peu ou prou, un chiffre de 3 % du PIB. 3 % tout rond, cela sonne bien pour un vieux pays catholique attaché à la sainte Trinité. Et voilà comment, sans aucune argumentation économique solide, mais pour répondre à une commande politique, nos deux experts ont offert ce calcul de coin de table à François Mitterrand. Guy Abeille raconte avec humour comment les princes de la gauche s'en sont emparé. En août 1981, Laurent Fabius, ministre « délégu頻 du Budget, promet ainsi de contenir le déficit à... 2,6 % du PIB?! L'onction élyséenne viendra un an plus tard?: lors de sa seconde conférence de presse du septennat, le 9 juin 1982, François Mitterrand prononce l'oukase célèbre?: « Le déficit est d'environ 3 % et il ne faut pas qu'il dépasse ce pourcentage appliqué au produit intérieur brut... »Repris en 1991 dans le traité de Maastricht, le 3 % du PIB passe à l'Europe, voire au monde. C'est qu'entre-temps, il est devenu la moyenne vers laquelle tout le monde tend. Est-ce une bonne raison pour en faire un plafond indépassable et rigide susceptible de déclencher des crises politiques en Europe?? Guy Abeille ne le pense pas et c'est tout l'intérêt de son témoignage. Faire d'un calcul circonstanciel le critère-pilier d'un traité entre 27 pays lui semble une absurdité à faire se tordre de rire Michel Foucault. Il serait plus sage selon lui de s'interroger sur la valeur de ce nouveau paradigme technocratique. Devant la victoire de cette « extension du domaine du ratio », ce rappel des origines des 3 % du PIB nous invite au bon sens. Mélange de choux et de carottes (diviser un solde de dépenses et de recettes par un indicateur de production annuel n'a aucune pertinence), n'informant en rien sur l'ampleur réelle du déficit, ce critère simpliste ne peut être un instrument valable de pilotage macroéconomique. « Le seul critère pertinent est celui de la capacité de remboursement à un horizon donné (qui est celui de l'emprunt). » C'est la soutenabilité de la dette qui compte, et non pas le niveau du déficit consenti une année donnée. Celle-ci dépend de la dette globale accumulée (cela fait 36 années de suite que la France est en déficit et cela risque de durer encore dix ans) et de la prévision que l'on peut faire des ressources futures, c'est-à-dire la richesse fiscale du pays considéré.À l'heure où l'Europe s'apprête à commettre une nouvelle fois l'erreur de placer la politique budgétaire en pilotage automatique avec des sanctions uniformes liées au respect ou non du seuil des 3 % du PIB, devenu plancher de déficit plutôt que plafond, la commission de Bruxelles, la Banque centrale européenne et le gouvernement allemand feraient bien de se souvenir de cette brève histoire avant de nous précipiter à nouveau dans la récession. (*) Lire le récit complet de Guy Abeille « Déficit public?: petite histoire du seuil des 3 % de déficit », à partir de ce week-end sur www.latribune.fr.
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