Livres : le voyage vers l'empire du ciel et de la terre... (première partie)

Les événements économiques et politiques de ces dernières années ont fait de l'Asie un nouvel objet de fascination pour les Occidentaux. Chaque jour, plus nombreux sont ceux qui partent à sa découverte, avides de comprendre cette vaste région qui sera peut-être à l'origine, demain, de l'essentiel de notre croissance économique.
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Plus que tout autre pays, c'est la Chine qui exerce sur nous une irrésistible attirance, ce en quoi nous ne sommes guère différents de nos ancêtres qui, depuis le haut Moyen Âge, ont vu dans cet empire du Ciel et de la Terre, comme le nommaient les empereurs chinois, le royaume des « merveilles », une terre d'exploration et de conquête. Nombreux sont les récits anciens de voyages et de découvertes qui ont été récemment réédités, encore plus nombreuses les études savantes sur les conditions dans lesquelles ces expéditions vers l'Orient étaient organisées entre le XVe et le XVIIIe siècle. Pour tous ceux qui s'intéressent à cette partie du monde ou qui y voyagent souvent, replonger aux sources de ce voyage est aussi une façon de comprendre un peu mieux la complexité des relations que l'Occident entretient depuis si longtemps avec l'Asie.

Voyageurs et écrivains arabes

Si l'on met de côté les premières ambassades de moines franciscains et bénédictins au XIIIe siècle, qui découvrirent la Chine par le biais des Mongols, les premiers marchands étrangers qui ont parcouru la Chine sont des musulmans, vers l'an 800. S'appuyant sur les travaux de Ptolémée et de Marin de Tyr, les géographes arabes offrirent à leurs contemporains de remarquables travaux de géographie mathématique et descriptive, servant à l'administration du califat et aux marchands qui devinrent, pour un certain nombre d'entre eux, des auteurs dont les relations de voyage ont connu un grand succès.

Toute une littérature de voyage, d'origine arabe, s'est développée entre le XIe et le XIVe siècle, dont la maison Gallimard, dans la bibliothèque de La Pléiade, nous offre les meilleurs morceaux : Documents sur la Chine et sur l'Inde, Récit de voyage, d'Ibn Fadlân, ceux d'Ibn Jubayr et Voyages et Périples, d'Ibn Battûta. Bien sûr, beaucoup de mystères demeurent sur la façon dont furent écrits ces récits, sur la manière dont les péripéties qu'ils relatent ont été recueillies, mais il reste qu'ils offrent une description assez précise du monde en même temps qu'une analyse fine des différenciations culturelles, sociales et politiques entre le monde arabe et le monde chinois. Mais surtout, et c'est là l'essentiel, ces pages sont nourries de l'émotion de la découverte, celle des villes, des palais, des rois, mais surtout des autres. Documents sur la Chine et sur l'Inde, écrit au ixe siècle, dont l'auteur reste anonyme, livre un grand nombre d'informations sur le commerce extrême-oriental de cette période en même temps qu'il décrit les différences insolites entre Arabes et Chinois, même s'il insiste parfois sur la supériorité de l'Islam et des Arabes. Cette première relation de voyage va donner lieu à une inflation de publications sur les « merveilles » de l'Asie et de la Chine, écrites souvent par des voyageurs en chambre et qui décrivent un monde plein de mystère et d'êtres fabuleux. Un genre littéraire en naquit, la Rihla, journal de voyage avec descriptif de l'itinéraire poursuivi, observations économiques, géographiques, politiques, historiques, sociologiques, sans ignorer les étapes pieuses et studieuses nécessaires dans les grandes métropoles de l'Islam. Pour Paule Charles-Dominique, qui a traduit et annoté les textes présentés dans ce livre, « Ibn Jubayr consacra le genre, et en fut ensuite le modèle jamais égalé ».

Le cas d'Ibn Battûta est un peu différent : il consacra vingt-cinq ans de sa vie aux voyages, pour le seul plaisir de découvrir le monde. En 1325, il entame un long périple qui le conduira de la Palestine jusqu'en Chine, en passant par la Perse, Médine, le Yémen, avec un détour par la Russie méridionale. Il débarque à Zaytun (aujourd'hui Quanzhou), qui était alors le plus grand port du monde, le point de départ de la route de la soie maritime et un grand centre de fabrication de tissus damassés et de satin. Son texte est d'une grande qualité littéraire et mêle le réel et l'imaginaire, empruntant ça et là à ses prédécesseurs (à cette époque, le plagiat n'était pas répréhensible en soi, il était une sorte d'hommage à ceux à qui l'on empruntait...) ou s'en remettant à son secrétaire, Ibn Juzayy. De ces pages se dégagent comme un parfum d'épices et la rumeur des quais de Quanzhou...
 

Extrait :

« Les Chinois sont ceux qui maîtrisent le mieux et le plus parfaitement les techniques artistiques. Parmi les histoires étonnantes qui me sont arrivées en Chine, citons celle-là : je ne suis jamais entré dans une ville chinoise sans avoir vu mon portrait et celui de mes compagnons peints sur les murs ou sur des papiers accrochés sur les marchés. J'entrai, une fois, dans la capitale du roi et passai avec mes compagnons par le marché des peintres, pour atteindre le palais impérial. Nous étions vêtus à la mode irakienne. Le soir, lorsque je quittai le palais, je repassai par le même marché et je vis mon portrait et celui de mes compagnons peints sur des papiers accrochés au mur. On me dit que c'était le roi qui avait donné l'ordre de peindre ces portraits. Les Chinois ont l'habitude de peindre tous les voyageurs qui passent par leur pays. Cela va si loin, que si un étranger commet un acte qui l'oblige à fuir, les Chinois envoient son portrait dans tout le pays pour qu'on le recherche. »

Ibn Battûta, Voyages et Périples

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