Sûreté nucléaire et risque financier

Point de vue de David Lévy, dirigeant d'entreprises électroniques, ancien responsable de la sûreté nucléaire au ministère de l'Industrie.

Les années 2007 et 2008 ?resteront marquées par les accidents dans la finance. Des accidents multiformes, l'un mondial ? la crise des subprimes ? d'autres locaux ? l'affaire Kerviel à la Société Générale ou encore les 600 millions d'euros perdus par les Caisses d'Épargne. Si des événements d'une telle ampleur ont pu survenir dans la même unité de temps, de lieu et d'action, c'est que le système a permis ces accidents et que la régulation n'a pu prévenir de telles défaillances opérationnelles.

Aujourd'hui, on parle de refondation du système financier en évoquant un nouveau « Bretton Woods ». Celle-ci ne sera complète que si une régulation adaptée est mise en place, qui répondra aux objectifs de Bâle 2 et ira au-delà. Quelle nouvelle méthode d'analyse peut aider à définir une telle régulation?? Ou, pour répondre à cette question, quels sont les systèmes fortement complexes qui quotidiennement évaluent et réduisent leur risque opérationnel?? La réponse qui vient à l'esprit est l'industrie nucléaire. Cette dernière a dû et a su développer une sécurité opérationnelle sans égal, liée au traumatisme d'Hiroshima et à l'ampleur du risque nucléaire. La finance pourrait-elle s'en inspirer??

La doctrine de la sûreté nucléaire est une architecture d'ensemble, visant à réduire le risque global en veillant à connaître la solidité de chaque interface (de chaque contrepartie en termes bancaires). Cette architecture part de critères de dimensionnement globaux, déclinés en règles de conception, puis de spécifications de fonctionnement, le tout bordé en permanence par un manuel d'organisation qualité.

Verra-t-on une nouvelle bureaucratie policière maniaque et inutile?? Au contraire, car il ne s'agit pas de superposer plus de contrôles et de rustines les uns sur les autres, mais d'un schéma qui cherche à conserver la cohérence du haut en bas de la chaîne opérationnelle, avec des contrôles efficaces. La sûreté bien pensée comme la qualité sont des facteurs d'économies et non de coûts. Au-delà, elles responsabilisent chaque intervenant au bon niveau. Cette belle mécanique resterait théorique si un retour d'expérience n'était réalisé. Chaque incident est analysé, et on vérifie que les taux de défaillance sont conformes aux normes pour évaluer en permanence le niveau de sûreté et prendre les mesures correctives si nécessaire. Cela comprend la publication systématique des incidents significatifs, et parfois leur médiatisation.

Au vu des accidents financiers récents, les notions d'architecture globale et cohérente du risque, de responsabilité claire, d'organisation qualité en profondeur et de retour d'expérience, ces notions, clés dans la sûreté nucléaire, apparaissent des axes d'analyse intéressants pour la finance. Au-delà, les deux principaux accidents nucléaires permettent d'étayer cette réflexion. L'accident de Three Mile Island (TMI), survenu aux États-Unis en 1979, s'il n'a fait aucune victime, est comparable par ses conséquences économiques à celui de la Société Générale. En France, il a fourni l'occasion de prendre du recul par rapport aux méthodes de sûreté nucléaire, de fixer des cadres plus simples et plus protecteurs, de prendre davantage en compte le facteur humain. N'est-on pas là proche des conclusions tirées de l'affaire Kerviel??

Et Tchernobyl?? La France a retenu un modèle de centrale qui ne présentait pas de risque d'instabilité, contrairement au réacteur RBMK de Tchernobyl. Or une des causes de la crise des subprimes est que chaque intervenant avait intérêt à augmenter le flux de prêts ou de titres, sans souci de leur qualité, donc à faire croître les risques de l'ensemble du système. Le système financier était donc naturellement instable, sans enfreindre la réglementation?; par opposition, la sûreté nucléaire est bâtie avec un souci permanent que les intervenants comme les systèmes aillent naturellement vers plus de stabilité et plus de sûreté.

La sûreté nucléaire peut donc inspirer la finance. La France est écoutée dans le tohu-bohu de la crise, et la France exporte ses technologies nucléaires. Elle est donc bien placée pour procéder à cette fertilisation croisée finance-sûreté nucléaire permettant de poser les bases d'une nouvelle régulation financière, qui devra faire en sorte que le ressort de rappel vers la sécurité soit présent naturellement et en permanence pour tous les systèmes et tous les intervenants. Croisons ces expériences, c'est devenu urgent?!

 

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 15:03
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C'est incroyable qu'à notre époque surinformée, le monde n'ait pas encore compris les dangers spécifiques, terribles et biocides de cette forme d'énergie, susceptible d'empoisonner notre planète irrémédiablement! Il est vrai que nos jeunes écolo...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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M Lévy n'a donc jamais entendu parler du Tricastin, de la grave fuite d'uranium du 7 juillet, des 2 barres combustible "suspendues" pendant 1 moi et demi au dessus du coeur, etc. Et pour revenir à la bourse, EDF et Areva ont perdu plus de 55% de leur...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Mr Lévy doit vouloir vendre ses prestations de conseil en risques opérationnels dans les banques ! pour revenir aux centrales: comment justifie t-il qu'il soit de plus en plus fait appel à des soustraitants pour leur maintenance, que celle-ci soit co...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Sauf que en matière de finances publiques la France n'est pas en mesure de donner l'exemple : les engagements "hors bilans" = retraites + assurance maladie sont inconnus et surtout absolument intenables pour les générations futures. Il ne faut pas ré...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est ahurissant comment, après près d'un demi-siècle d'expérience et de surinformation le monde ne semble pas toujours conscient des terribles et bien spécifiques méga-dangers que nous font courrir cette forme d'énergie! Certes les poisons chi...

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