"Class action" : entre sanction et réparation

Par Jacques-Antoine Robert et Etienne Kowalski, avocats (Simmons & Simmons).

Depuis 2006, pas moins de neuf projets de création d'une "class action" à la française (action de groupe) ont été déposés au parlement par le gouvernement ou des élus de tous bords politiques. L'action de groupe a également fait l'objet de nombreux rapports. En 2008, la commission Attali a recommandé l'introduction de ce mécanisme pour accroître la confiance des consommateurs dans l'économie de marché. Le rapport Coulon a confirmé l'intérêt d'une telle action. Les présidents Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy ont annoncé cette réforme longtemps réclamée par les associations de consommateurs.

Après la disparition de la class action à la française du projet de loi relatif à la modernisation de l'économie au printemps, le gouvernement a indiqué que ce sujet serait discuté en même temps que le projet de dépénalisation de la vie des affaires à la fin de l'année. L'action de groupe est maintenant présentée comme une contrepartie à cette dépénalisation et s'inscrirait dans une réflexion sur la responsabilité des entreprises et sur la sanction de leurs abus éventuels.

On assiste là à un changement de philosophie dans la politique législative?: d'un outil de réparation des préjudices subis par les consommateurs, on est passé à un mécanisme de sanction dirigé contre les entreprises. On se rapproche de la logique américaine où la class action est considérée comme un outil de régulation du comportement des acteurs économiques confié non aux pouvoirs publics mais à des personnes privées. Il ne faut pas oublier qu'outre-Atlantique la "class action" américaine avait pour but de donner aux citoyens la possibilité d'assurer une meilleure application de la loi, ce qui explique que près de la moitié de ces actions y sont dirigées contre des personnes publiques.

L'action de groupe française était conçue à l'origine comme une réponse au sentiment d'insécurité juridique des consommateurs devant la complexité des échanges sur les marchés. Elle serait en effet source de nombreux litiges face auxquels les consommateurs seraient désarmés, en particulier en cas de petits litiges qui ne justifient pas une action en justice, souvent longue et onéreuse, et pour lesquels ils ne peuvent obtenir réparation. L'objectif de l'action de groupe était donc la réparation de petits litiges diffus et la restauration d'un équilibre entre les entreprises et les consommateurs pris isolément.

L'ambition aujourd'hui affichée de faire de l'action de groupe un outil de la régulation économique confié aux associations de consommateurs paraît être une dérive inutilement dangereuse pour les acteurs économiques. Et s'avère peu conforme à la tradition juridique française selon laquelle il appartient aux pouvoirs publics de sanctionner les comportements portant préjudice à l'intérêt général.

Cette dérive dans la philosophie sous-tendant l'introduction de l'action de groupe en France, dont les abus dans sa version américaine sont très largement connus, devrait pousser le gouvernement à encadrer strictement ce nouveau mécanisme.

L'exemple américain montre que la publicité autour des actions de groupe doit être organisée afin d'éviter la transformation du mécanisme en instrument de chantage, que la rémunération des acteurs doit être contrôlée afin d'éviter que l'action de groupe ne devienne une source de profits pour quelques-uns, que les dommages et intérêts punitifs doivent être écartés.

Une action de groupe devrait respecter la tradition juridique française et européenne, attribuer au juge un large rôle de contrôle de la procédure, réserver une possibilité de transiger les affaires et assurer le respect du droit des justiciables à participer ou non à une action judiciaire.

Outre le nécessaire débat sur la forme de l'action de groupe, une véritable réflexion sur la place de celle-ci dans l'arsenal juridique doit être menée pour éviter que d'un rééquilibrage des relations entre entreprises et consommateurs, on glisse vers un pouvoir de sanction confié à quelques groupes représentant des intérêts de particuliers.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Excellent article et conclusions ouvertes pour orienter les réflexions du législateur intelligent.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce qui manque à ce pays c'est de l'ambition et la confiance dans l'avenir. Pourquoi investir à long terme dans des petites sociétés ou des start-up si en cas de succès l'actionnaire majoritaire exproprie à bas prix? Actuellement, en cas d'OPR les coû...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Il faut qu'il soit vraiment "Français" ce type de recours!Car lorsqu'on voit la lenteur de la Justice Française pour donner une solution définitive à un problème, on peut se poser des questions?Sera-t-on encore envie lorsqu'arrivera le moment de le f...

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