Les prud'homales ouvrent une ère d'incertitude pour les syndicats

Le quart des électeurs inscrits a participé aux élections des juges de prud'hommes, le 3 décembre. Au-delà du mode d'organisation du scrutin, peu propice à une forte mobilisation, les résultats amplifient les évolutions du syndicalisme français, écrit Jean-Marie Pernot, spécialiste des relations sociales à l'Institut de recherches économiques et sociales. Mais les scénarios (concentration ou atomisation) restent incertains.

Le résultat des élections aux conseils de prud'hommes du 3 décembre est riche d'enseignements, tant sur le scrutin lui-même qu'en matière d'audience des syndicats. Les leçons de cette consultation prennent un relief particulier alors que se met en place un nouveau mode d'appréciation de la représentativité des syndicats. Il y a d'abord ce faible taux de participation que l'on doit à quatre facteurs?: une relative distance, bien connue, entre syndicats et salariés du secteur privé ; un mode d'organisation du scrutin peu propice à la participation?; le lien entre l'élection des juges de prud'hommes et le vote pour les syndicats ne semble pas logiquement perçu par les salariés. Dans un champ syndical traversé d'autant de divergences, ce n'est pas le moindre paradoxe que d'appeler les salariés à départager les syndicats dans le seul domaine où leurs différences de pratique sont infimes ou inexistantes.

La dernière raison est la croissance du corps électoral. En 1997, le nombre d'inscrits était de 14,5 millions d'électeurs?; ils sont devenus 16,4 millions en 2002 pour atteindre 18,6 millions en 2008. Les effectifs du secteur concurrentiel (chiffres Unedic) étaient de 15,8 millions en 2002 et 16,5 millions à la fin de 2007. Il faut avoir ratissé très large (même en ajoutant les chômeurs inscrits depuis 1997) pour atteindre un tel collège électoral. Cette course à la taille a des incidences mécaniques sur le taux de participation car les populations récemment inscrites sont les plus éloignées du vote, par exemple aujourd'hui le million et demi de salariés des services à la personne. Le vote des employeurs le démontre a contrario?: le collège électoral était de 919.500 en 1997, de 758.000 en 2002 et de 518.300 en 2008?; la participation était de 21% en 1997, de 26% en 2002, elle a été de 31,2% en 2008.

Ce corps électoral de 25% des inscrits conserve cependant une signification car les résultats du scrutin sont cohérents avec les grandes structurations historiques du syndicalisme français et avec ce que l'on sait par ailleurs de l'évolution récente de ses composantes. La progression de près de deux points de la CGT est un retournement de tendance significatif car déjà enregistré dans les élections de comités d'entreprise depuis le début des années 2000, tout comme le recul de la CFDT qui est de deux points environ aux élections des CE et de trois points aux prud'hommes. Pour cette dernière, la perte importante dans l'encadrement amplifie une tendance très manifeste également depuis plusieurs années dans le secteur public et la fonction publique. Le recul de Force ouvrière est plus inattendu car ses résultats aux élections de CE sont plutôt stables, mais elle régresse beaucoup dans les élections des trois fonctions publiques, ce qui démontre une certaine liaison entre ces trois consultations.

L'Unsa consolide son éclosion d'il y a six ans, sa progression correspondant en gros à l'accroissement de son nombre de listes tout comme Solidaires. Présentes dans deux ou trois fois plus de conseils, les listes Solidaires passent de 1,5% des voix à 3,8%. Si la croissance du nombre de listes est signe d'un progrès d'implantation, le score final, en revanche, ne traduit pas de mouvement profond en sa faveur. Le "retour" de la CGC est modeste, il est, dans l'encadrement, l'envers de l'effondrement de la CFDT, les deux organisations étant renvoyées à leurs positions relatives de 1992. Au total donc une stabilité dans les grandes lignes qui valide la pertinence du corps électoral et des petites variations qui renseignent sur certaines dynamiques dans le champ syndical, dont la lourde question de l'abstention.

Les seuils de représentativité introduits par la loi d'août 2008 créent des mécanismes d'éviction ascendants de l'entreprise à la branche puis au niveau interprofessionnel dont seront victimes les syndicats aux résultats électoraux trop étriqués. La dynamique qui en résultera peut conduire à deux scénarios contradictoires : soit une concentration tendancielle des syndicats, soit une atomisation plus forte encore avec une multiplication de syndicats ou de regroupements jugés représentatifs dans l'entreprise mais pas aux niveaux supérieurs avec deux ou trois centrales ressortant au niveau interprofessionnel.

De ce point de vue, le résultat des élections prud'homales ne peut pas directement nous instruire sur tel ou tel de ces scénarios. Il témoigne d'un certain goût pour la dispersion, goût confirmé dans les sondages d'opinion?; les deux organisations intermédiaires (CFDT, FO) qui auraient pu se placer en pôles de rassemblement reçoivent un message très négatif. Seule la CGT peut se voir encouragée par ce timide et (très) relatif retour en grâce. De même le rapprochement de l'Unsa et de la CGC se trouve crédité par la progression des deux organisations, à condition que les électeurs (et les adhérents) valident cet assemblage, ce qui n'est pas assuré. Quand à Solidaires et à la CFTC, les questions stratégiques devraient assez vite survenir car leur statut de confédérations est en jeu. Nous entrons désormais dans une ère de grande incertitude mais qui vaut mieux que la poursuite de l'actuel théâtre d'ombres.

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Commentaires 6
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'actuelle dispersion syndicale a des origines historiques et politiques. Au début du XXème, il n'y avait que deux confédérations (CGT et CFTC). La CFTC avait rassemblé les syndicats indépendants d'employés qui refusaient la religion marxiste de la ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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l'analyse est pertinente sauf pour la conclusion.En matière de fusion politique ou syndicale, 1+1 ne font jamais 2.Hormis la cgt dont le fil conducteur historique a été dans la traditionnelle lutte de classe, les autres sont victimes en leur sein de ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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syndicaliste a écrit "Le regroupement de la "rouge" UNSA et de la "bleue" CGC risque de ne pas tenir dans le temps. En outre, les pratiques cogestionnaires de l'UNSA sont à l'opposé des pratiques plus combatives de la CGC. Il serait plus logique que ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je ne voit pas en tant que militant CFTC une fusion avec la CGC, cela tirerai trop vers le haut la CFTC, qui est de plus en plus ouvrières, les discours et les actes doivent pouvoir déterminerqui ira avec qui! je pense qu'une union FO et CFTC serait...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Toutes vos commentaires sont très pertinents. Au delà de la logique historique, les pratiques syndicales ont évolué et se sont souvent différenciées selon les fédérations ou syndicats nationaux. Si l'UNSA a fédéré des anciens de FO, il est aussi vrai...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Certes. Reste que connaissant bien FO, je vois mal l'appareil de cette organisation s'allier à la CFTC. Le PT y est très implanté et n'acceptera ce rapprochement que s'il le gère et le dirige. C'est toute la problématique des rapprochements en cours...

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