Nouvelle Autorité de la concurrence : vers une hausse "vertigineuse" du montant des amendes ?

Par François Brunet, avocat au barreau de Paris (Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton LLP), codirecteur de l'ouvrage : "Le nouveau droit communautaire de la concurrence" (LGDJ, 2008).

En décembre dernier, le Conseil de la concurrence, qui vient d'être remplacé par une nouvelle institution aux pouvoirs et aux moyens plus étendus, a condamné les membres d'un cartel dans le secteur de la sidérurgie à des amendes d'un montant record de 575,4 millions d'euros (dont 301,7 millions d'euros pour le seul groupe ArcelorMittal), montant qui dépasse même l'amende de 534 millions d'euros imposée en 2005 à trois opérateurs de téléphonie mobile. Cette décision nous apparaît constituer tout à la fois un signal et un testament. Par cette amende record, le Conseil semble lancer comme un défi à la "nouvelle" Autorité de la concurrence, l'enjoignant en quelque sorte de rapprocher sa politique de sanctions des "lignes directrices" communautaires.

Depuis l'adoption, en 2006, par la Commission européenne de ces nouvelles "lignes directrices", les amendes communautaires représentent généralement 10% à 20% du chiffre d'affaires "concerné" pour chaque année de participation à une entente de prix ou un cartel. Ainsi, pour une infraction de cinq années, l'amende peut représenter de 50% à 100% du chiffre d'affaires réalisé sur le marché "concerné", ce montant pouvant être ensuite multiplié par deux ou par trois en cas de récidive ou d'appartenance à un grand groupe (théorie dite de "l'effet dissuasif").

La condamnation récente par la Commission européenne d'entreprises productrices de verre automobile à des amendes d'un montant record de plus de 1,3 milliard d'euros pour avoir conclu des accords de partage de marché, démontre à ceux qui en doutaient encore la détermination de l'autorité communautaire à prononcer des sanctions de plus en plus lourdes. C'est ainsi que l'entreprise Saint-Gobain, qui était en situation de récidive après avoir été déjà condamnée pour des faits similaires en 1984 et 1988, a vu son amende majorée de 60% et atteindre le montant astronomique de 896 millions d'euros.

Ces chiffres donnent à proprement parler le vertige, non seulement au regard des montants concernés, mais aussi au vu des variations que subissent ces montants. Dans l'affaire de la téléphonie mobile, le taux des amendes infligées à Orange et SFR avoisinait le 1% du chiffre d'affaires "pertinent" par année d'infraction. Ce même taux, en ce qui concerne les amendes qui viennent d'être imposées aux entreprises du groupe ArcelorMittal, semble avoir été d'environ 8%, soit près de 40% pour les cinq années d'infraction (avant prise en compte de la réduction pour non-contestation des griefs). Une telle évolution en si peu de temps est inquiétante et ce d'autant plus que le niveau des amendes communautaires est encore largement supérieur.

Il importe donc de s'interroger pour savoir comment le niveau supposé approprié des amendes "anticartel" doit être déterminé. Au niveau communautaire, l'autorité compétente est la Commission européenne. Sur la base d'une jurisprudence établie de longue date, le juge communautaire a également reconnu à la Commission une très grande marge de man?uvre, lui conférant toute discrétion pour augmenter le niveau des amendes et modifier ses "lignes directrices" (dans la limite du plafond légal de 10% du chiffre d'affaires consolidé).

On peut néanmoins se poser la question de la légitimité de la Commission lorsque celle-ci élabore ses "lignes directrices" relatives au calcul des amendes. N'est-il pas en effet surprenant qu'un texte pouvant aboutir à des sanctions dépassant le milliard d'euros n'ait fait l'objet d'aucun débat au sein du parlement européen ?

Bien qu'il n'existe pas en France d'équivalent aux "lignes directrices" communautaires, les mêmes questions peuvent être soulevées. L'idée d'un "document d'orientation propre à l'autorité nationale" en matière de calcul des amendes a en effet été évoquée dans la décision ArcelorMittal. Dans l'hypothèse où un tel document viendrait à voir le jour, qui devrait en être l'auteur ? L'Autorité de la concurrence ou le parlement français ?

A cet égard, la loi sur la modernisation de l'économie a introduit dans le Code de commerce un nouvel article L. 461-5, qui donne aux commissions parlementaires compétentes la possibilité d'entendre le président de l'Autorité de la concurrence et de consulter celle-ci sur toute question entrant dans le champ de ses compétences. Espérons que ces commissions auront la sagesse de demander à l'Autorité des comptes et qu'elles l'interrogeront sur les raisons qui ont amené feu le Conseil de la concurrence à augmenter significativement le niveau de ses amendes.

Lesdites commissions pourraient également questionner la "nouvelle" Autorité sur la nécessité de prendre en compte des facteurs à décharge jusqu'ici très largement négligés : le caractère non intentionnel de l'infraction (par exemple, la responsabilité de quelques employés isolés), le montant des profits illicitement perçus, et le sérieux du programme de conformité mis en ?uvre par l'entreprise pour prévenir l'infraction malencontreusement commise.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ici on parle concurrence anticartel concernant les industries mais ce phénomème existe aussi pour les particuliers : Il y a un an environ, avant que l'on puisse trouver un véhicule neuf gratuit pour l'achat d'un véhicule neuf.En tant que Français j'a...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les particuliers sont toujours ceux qui payent les pratiques anticoncurrentielles au final...

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