Bon sens et crise financière

Par Marc Crapez, chercheur associé à Sophiapol (Paris X).

Face à la crise, le bon sens fut très largement invoqué. Acteurs économiques, économistes et hommes politiques (de Barack Obama à Peter Mandelson) se sont référés au critère du bon sens, alors que les sommes en jeu ont très largement dépassé l'entendement. La soudaineté du gâchis semble démontrer que la sophistication statistique et les modélisations mathématiques "ne remplaceront jamais le bon sens pour juger des limites acceptables de la prise de risque".

La régulation s'est trouvée submergée par l'innovation financière : produits dérivés liés aux "subprimes" et produits censés apporter une assurance si la valeur de ces produits dérivés devait chuter. Autrement dit, dérivés tirés de produits et dérivés de dérivés... De cette opacité résulte sans doute l'oubli qu'il s'agit d'une crise du subprime, d'une crise enfantée sur le marché des hypothèques résidentielles. Cela fut parfois perdu de vue en faveur d'interprétations plus manichéennes, telle la thèse des 15% de profit.

Un commentateur incrimine "la fameuse limite des 15%, en deçà de laquelle de nombreuses activités tout à fait rentables ont néanmoins été condamnées". Or ce seuil a, certes, été dans l'air du temps et des discours, mais, dans la réalité des faits et des transactions, il est hautement improbable qu'il ait jamais joué un rôle quelconque. Une étude sur les fonds d'investissement montre que la barre des 15% n'a jamais été approchée et il est peu crédible que ce mirage ait servi à brader des industries. Il faut avoir la berlue pour croire crédible un retour sur investissement de 15% constant. Cette prouesse de spéculateur était un attrape-nigaud.

Autre défi au bon sens, la thèse postulant que les marchés sont, par nature, fondés sur des réactions collectives irrationnelles, a opéré un retour en force. Cette thèse de l'irrationalité des marchés permet de se croire à un poste d'observation privilégié, inaccessible au "vulgum" pris dans la tourmente. Elle confère à ceux qui l'accréditent le sentiment de supériorité de l'analyste conscient des vrais enjeux. On peut pourtant privilégier la thèse de la rationalité de l'acteur économique, même sous le coup d'effets d'agrégation collectifs. En économie comme en sciences sociales, il est toujours préférable d'éviter l'inflation psychologisante : par exemple, la cupidité est un phénomène perceptible qui explique davantage de choses qu'une "hystérie" aux contours incertains.

On a un peu oublié que le krach est un phénomène naturel, comme le montrent l'histoire économique et la littérature. Les cycles économiques sont ponctués par la récurrence de crises. Les phases de révolution technologique favorisent une frénésie d'innovation financière et de surinvestissement. On peut faire appel à des théories psychanalytiques comme Balzac, Dumas, Zola ou Keynes dans son traité sur la monnaie. Mais "le Bossu" de Paul Féval, qui raconte la faillite, en 1720, de la Banque générale de John Law, fait revivre le vacarme de la rue Quincampoix, les rumeurs de retournement de tendance et la fin d'un pari qui s'auto-alimentait. La chute des cours est le fruit d'investissements insoutenables et d'un calcul d'anticipation rationnel.

L'inflation psychologisante gage que les acteurs économiques cèdent à la panique par un mystérieux mécanisme de contagion mimétique. La crise se résumerait peu ou prou à un problème psychologique de défiance. Cette perte de confiance pourrait être rétablie par des dépenses étatiques, un peu comme par enchantement. Pourtant, passé l'effet d'annonce du montant des programmes, le montant total de la dépense importe moins que son affectation. Les berceuses de la méthode Coué influent moins que l'amorce de solutions tangibles. Les acteurs financiers ont, certes, des états d'âme mais ils disposent d'une certaine aptitude à scruter les chances de survie, de rebonds et de navigation par gros temps.

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La crise des marchés financiers montre clairement les limites du système instauré ces 20 dernières années. D'un côté les gouvernements et les sociétés demandent aux consommateurs de continuer sans cesse à acheter des biens mais sans pour autant favor...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Tout à fait juste cet article, et cela s'applique d'abord au secteur d'activité à l'origine de la crise l'immobilier; malheureusement, ceux qui subissent les effets de la spéculation immobilière ont été longtemps oubliés, il a fallu que le monde de l...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, ces banques et toutes les institutions qu...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les banques ne sont qu'une courroie de transmission, les Etats sont les responsables, le credit trop peu cher, lecontrole defaillant: biensur les banquiers ne sont pas des anges mais entre nous on a les banquiers quon merite.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Vous êtes un des rarissimes chercheur-économiste à citer Le Bossu de P. Féval. C'est pourtant le meilleur et le plus simple exemple de faillite spéculative. Tout le monde a vu le film avec Jean Marais ! et pourtant personne n'y a songé....

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