Les Etats-Unis de France

L'Amérique de Barack Obama est-elle en train de vivre une révolution socialiste silencieuse, répliquant l'étatisme à la française ? Réponse de Peter Gumble, grand reporter pour "Time" et "Fortune" et auteur de "French Vertigo" (Grasset).

Avant même l'élection de Barack Obama en novembre 2008, ses adversaires le dépeignaient souvent comme un homme de gauche farouche, un vrai "libéral" dans le sens américain - c'est-à-dire un militant des valeurs et des idées de la social-démocratie européenne. Après avoir dévoilé début mars son budget 2010 et les nouvelles mesures de sauvetage très coûteuses mises en place pour Citibank et l'assureur AIG, le président Obama a gagné une nouvelle réputation à Washington : c'est un Français !

La semaine dernière, Roger Cohen, éditorialiste au "New York Times", a parlé du président américain en citant la fameuse phrase de François Mauriac sur l'Allemagne : "je l'aime tellement que je suis heureux qu'il y en ait deux". Son argument : une France suffit, est qu'il est important que les Etats-Unis ne deviennent pas la deuxième. Selon lui (et beaucoup d'autres), Obama est en train de faire un virage idéologique important dans la politique américaine, en mettant en place un système économique fondé sur une vision de l'Etat providence qui est plus européenne qu'américaine.

Ces accusations sont essentiellement basées sur le budget de 3,6 milliards de dollars qui prévoit un nouveau système national d'assurance-maladie. En outre, Obama va augmenter fortement les impôts des "riches", dont les revenus dépassent 200.000 dollars par an. Selon Cohen et de nombreux autres, tout cela mènera inéluctablement à une politique à la francaise, avec son esprit étatique et sa recherche perpétuelle de l'égalité sociale. Deux aspects de la vie absents de l'éthique américaine jusqu'à présent.

C'est un débat très sérieux outre-Atlantique : Obama lui-même, dans une interview avec le "New York Times" ce week-end, a nié vigoureusement être en train d'instaurer le socialisme aux États-Unis. Quelques heures après l'entretien, il a appelé les journalistes afin d'insister encore une fois sur le fait que sa politique économique reste "tout à fait consistante avec les principes d'une économie de marché".

Vu de Paris, cette bataille acharnée me laisse perplexe. D'abord parce que l'idée que Barack Obama ou quiconque pourrait installer le socialisme aux Etats-Unis est complètement ringarde. Mais je constate aussi dans ce débat un côté fortement désagréable : on y voit une vision américaine de la France totalement caricaturale. C'est une vision de la France aux antipodes de celle des Etats-Unis en ce qui concerne ses pratiques économiques. Une France qui est devenue "le méchant" après la chute du mur de Berlin, à la place de l'Union soviétique !

Cette vision a été exacerbée par les présidents français qui se sont succédé, essentiellement Jacques Chirac, mais c'est une vision totalement fausse. Oui, on s'est moqué des pratiques françaises comme les 35 heures. Oui, on reste toujours surpris par la capacité des Français à descendre dans la rue pour manifester contre tout changement. Mais les deux pays ont plus de points en commun que de différences.

A Washington comme à Paris, on pratique de temps en temps et sans honte un "patriotisme économique" - on pense aux tentatives avortées des Chinois lorsqu'ils ont voulu acheter la compagnie pétrolière américaine Unocal. Les agriculteurs sont autant respectés et puissants dans les deux pays. Même le pantouflage flagrant est un jeu américain : on dit à Washington que le Treasury Department, donc le ministère des Finances, est devenu une filiale de Goldman Sachs.

On voit désormais un changement de politique à Paris : Nicolas Sarkozy, visiblement, cherche le rapprochement avec Washington. A en juger par le débat actuel aux Etats-Unis sur l'économie, tant que l'image caricaturale de la France perdure, un vrai rapprochement sera assez difficile.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Les américains peuvent se moquer de nous, mais jusqu?à preuve du contraire, leur système est loin d?être le meilleur. Il faut savoir que pour l?espérance de vie, les EU se situent à la 29éme place mondiale. Y a-t-il vraiment de quoi fanfaronner et ri...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.