Vingt ans de libéralisation du secteur de l'énergie : "tout ça pour ça ? "

De Denis Depoux, associé responsable du secteur énergie (cabinet Roland Berger).

L'Europe vient de subir une période de vingt ans de libéralisation du secteur de l'énergie, déclenchée en 1986 par la privatisation de British Gas, relayée par deux, bientôt trois, directives européennes et parachevée par les ouvertures totales des marchés résidentiels (en juillet 2007 en France). Vingt ans d'application systématique du dogme libéral fondé sur la concurrence pour obtenir la "libération" du consommateur : choix du fournisseur, baisse des prix via une plus grande efficacité des acteurs, diversité accrue de nouveaux services. Le tout ayant nécessité une mobilisation considérable des pouvoirs politiques et des acteurs du marché. Le bilan de ces vingt années apparaît cependant bien maigre.

Les consommateurs dits "libres" n'ont pratiquement pas changé de fournisseur, le Royaume-Uni étant le plus actif avec environ 25% de taux de changement de fournisseur. Les prix n'ont cessé d'augmenter dans la quasi-totalité des pays, principalement tirés par la hausse des cours des hydrocarbures. Les imperfections de ces marchés, notamment sur l'électricité, tirent également les prix à la hausse en permettant aux producteurs de vendre potentiellement toute leur production au prix de la centrale électrique marginale du marché, c'est-à-dire la plus chère.

La flambée des prix sur les marchés "libres" a d'ailleurs conduit la France à créer le Tartam, c'est-à-dire un tarif de retour pour les entreprises déçues de la concurrence. Les politiques sont aujourd'hui contraints de réfléchir à des remèdes, qui semblent tous complexes et imparfaits : soit remplacer les mécanismes actuels et favoriser plus encore le "tout marché", ce qui ne réglerait pas le problème de l'oligopole actuel des producteurs ; soit réguler les prix à la production via un acheteur unique.

De manière paradoxale, bien qu'un des objectifs de la libéralisation soit de créer une émulation concurrentielle, les blocages nationaux à l'entrée (tarifs, synergies entre les activités aval et amont présentant une barrière capitalistique...) ont contribué à créer des champions européens engagés dans une course à la taille hors de leur pays d'origine. Ces champions se sont organisés en oligopole de fait, en consolidant leurs positions progressivement (par exemple EDF en Angleterre, qui a acquis London Electricity en 1998 puis British Energy en 2008) en lieu et place de l'ancienne collection de monopoles nationaux de droit.

Leur productivité a été mise à mal au passage. Ils ont subi de 25 à 40% de surcoûts pour la séparation commerce-distribution liés aux redondances (duplication des centres d'appels, des traitements de facture). Enfin, le client "libre" se trouve au final prisonnier d'une complexité accrue entre les différentes obligations contractuelles entre commercialisateurs - distributeurs et régulateurs.

En réalité, vingt ans après, les défis que doit relever l'Europe de l'énergie ne sont plus ceux de la concurrence, mais de la sécurité d'approvisionnement, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la protection de l'environnement et de la hausse des cours des combustibles. Les conséquences sur le gaz des conflits russo-ukrainiens à répétition (2006 et 2009) ont mis en tête des priorités la sécurité d'approvisionnement. Qui est également menacée par la fragilisation de nos acteurs liée au démantèlement proposé dans la troisième directive (séparation des réseaux de transport des entités de fourniture et de commercialisation).

Sans compter que le développement des marchés de gros permet aux grands producteurs étrangers de venir concurrencer sur leurs terres les acteurs gaziers de l'Ouest européen, comme en témoignent les ouvertures de filiales par Gazprom (Russie) et Sonatrach (Algérie) dans plusieurs pays européens.

L'Union européenne, en parallèle de la libéralisation, a réussi à positionner l'Europe en leader de la lutte contre le réchauffement climatique via son dispositif issu de Kyoto (les quotas de CO2 européens représentant 83% du marché mondial des quotas en 2006), mais en leader "par défaut", étant donné le retard de l'Asie et l'indisposition passée des États-Unis. Le défi à relever dans les années futures, codifié dans le récent paquet énergie-climat aux objectifs périlleux de trois fois 20 (20% d'énergie renouvelable, 20% de réduction de consommation, 20% de réduction des émissions d'ici à 2020) nécessite un effort qualifié d'insurmontable par certains observateurs européens.

Le réveil des autres puissances mondiales le rend encore plus difficile : le plan Obama prévoit 25% de renouvelables en 2025 et 80% de réduction d'émissions en 2050 et la Chine s'est fixé un objectif de 20% de réduction de consommation et 10% d'énergies renouvelables d'ici à la fin de l'année prochaine.

Répondre à ces quatre défis nécessitera plus que jamais le développement de géants européens ainsi que de nouveaux efforts réglementaires et des investissements importants. Les autorités réglementaires pourraient s'intéresser à la mutualisation des stockages de CO 2 plutôt que rédiger une énième directive ou procédure d'enquête pour diminuer les parts de marché des acteurs. La libéralisation devra répondre à des questions fondamentales : osera-t-on reréguler les marchés résidentiels ?

Arrivera-t-on à focaliser les efforts législatifs et la concurrence entre opérateurs sur les énergies renouvelables, les économies d'énergie et le CO 2 ? N'oublions jamais que l'Union européenne est née de la Ceca, qui avait pour objet la coopération dans les secteurs stratégiques du charbon et de l'acier en sortie de guerre. Pourquoi ne pas réitérer ce mouvement concernant les nouveaux enjeux de l'énergie ?

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