L'écart d'acquisition : à consommer sans modération

Une réflexion sur la valeur des entreprises et les calculs d'amortissement des écarts d'acquisition.

Chacun sait aujourd?hui que la valeur d?une entreprise n?a pas de lien direct avec les montants qui, dans son bilan, figurent au sein de ses fonds propres. Le bilan n?inclut pas en effet les savoir-faire accumulés grâce à des dépenses coûteuses, que ce soit en matière de recherche, de procédés de fabrication, de notoriété, de réseaux commerciaux ou de méthodes de gestion : ces dépenses sont en effet considérées comme des charges de gestion et, à ce titre, sont incluses dans le compte de résultat en diminution des produits, ce qui, en n?inscrivant pas ces charges à l?actif du bilan, évite de payer de l?impôt avant que leur rentabilité attendue ait été effectivement constatée.

La valeur d?une entreprise est mieux mesurée par l?actualisation des profits futurs qu?elle va générer que par le montant de ses fonds propres.

 

Lorsqu?un groupe Acheteur acquiert une entreprise Cible, il paie un montant généralement très supérieur aux fonds propres figurant au bilan de la Cible. La différence, appelée « écart d?acquisition » se justifie par les perspectives de croissance des bénéfices de la Cible seule, auxquelles s?ajoutent les synergies attendues de l?entrée de la Cible dans le groupe Acheteur qui, dans le meilleur des cas, concernent à la fois la Cible et le groupe Acheteur : on parle alors de fertilisation croisée.

Jusqu?à l?introduction des normes internationales IFRS, l?écart d?acquisition était, dans les comptes consolidés français, amorti, sans effet fiscal, sur une rubrique spécifique au sein du compte de résultat ce qui donnait lieu à la publication, après le résultat net comptable, d?un « résultat net avant amortissement de l?écart d?acquisition » sur lequel la communication financière était privilégiée.

Il y avait certes d?importants débats sur la durée d?amortissement des écarts d?acquisition mais, hors des cas hors normes, mais déjà vus, d?entreprises de services choisissant une durée de 40 ans (ce qui signifiait que les compétences du personnel en place conservaient leur efficacité sur une telle durée) les entreprises retenaient généralement une durée de 5 à 15 ans avec une médiane proche de 10 ans.

Certaines entreprises choisissaient aussi d?affecter une partie significative de l?écart d?acquisition sur la « marque », élément qui ne s?amortit pas en comptabilité, ce qui gommait le problème de la durée d?amortissement mais maintenait au bilan des montants considérables à l?actif et, en contrepartie, au passif au sein des capitaux propres.

Hors le cas de la « marque », sur le plan comptable, l?écart d?acquisition diminuait donc régulièrement par l?amortissement avec, en contrepartie, une diminution identique des fonds propres.

Un problème se posait lorsque les prévisions d?augmentation du résultat liées à l?acquisition de la Cible ne se réalisaient pas : les commissaires aux comptes demandaient un amortissement supplémentaire de l?écart d?acquisition, voire sa dépréciation totale et usaient de leur influence pour que l?entreprise ne communique pas sur un résultat avant amortissement de l?écart d?acquisition car, disaient-ils avec raison, il s?agit bien d?une perte quelle qu?en soit la cause, détérioration du marché de la Cible ou prévisions trop optimistes.

 

Les normes internationales d?établissement des comptes, les IFRS, mises en place à partir des comptes 2005, stipulent que, comme c?était déjà la pratique aux Etats-Unis, l?écart d?acquisition ne s?amortit pas, sauf si les prévisions initiales de résultat ne se matérialisent pas : à ce moment il faut passer une dotation aux amortissements au sein du compte de résultat. Ce serait mentir de dire que les groupes affectés par cette mésaventure enregistrent cette perte de gaieté de c?ur. Ils ne s?y résolvent qu?en dernier ressort, après avoir torturé les hypothèses de croissance du marché, d?évolution des synergies, ou les taux d?actualisation du résultat, et il s?agit alors de très gros montants (on a vu récemment à la Bourse de Paris des dépréciations de plusieurs milliards d?euros) puisqu?il n?y a eu aucun début d?amortissement. Certains dirigeants ont parfois accompagné cet amortissement massif de commentaires du type « ce ne sont que des écritures comptables, il n?y a pas d?effet en trésorerie », réussissant mal à occulter le fait qu?il s?agit bien de pertes liées à une acquisition ratée.

Se rallier aujourd?hui à l?amortissement de l?écart d?acquisition, considéré désormais au sein du compte de résultat, comme une charge normale, sans communication sur un résultat avant amortissement d?écart d?acquisition, ferait prendre conscience aux dirigeants du coût réel d?une acquisition sur les résultats de leur groupe et réduirait probablement les acquisitions trop cher payées qui procurent davantage de satisfaction à l?ego des dirigeants qu?au portefeuille des actionnaires.

Une réflexion sur la nature de l?écart d?acquisition devrait mettre aisément tout le monde d?accord : il représente bien des charges antérieurement encourues qui, en tant que telles, sont venues réduire les bénéfices passés de la Cible. En vendant l?entreprise, les actionnaires de la Cible obtiennent en fait le remboursement de ces charges, avec une prime de succès, puisqu?elles ont, a postériori, montré leur bien fondé, avéré par le prix payé par le groupe Acheteur, remboursement qui sous le nom de plus-value, est normalement soumis à l?impôt.

Ne serait-il pas normal que le groupe Acheteur de la Cible soit alors autorisé à pratiquer un amortissement fiscalement déductible de l?écart d?acquisition, au même titre qu?il amortit les matériels de production. Certes cela aurait un coût pour les Etats puisque cela réduirait l?impôt sur les bénéfices mais le groupe Acheteur verrait sa trésorerie améliorée et ne s?en porterait que mieux, ce dont l?Etat bénéficierait ultérieurement grâce à la croissance de l?activité ainsi facilitée.

Les Européens ne devraient-ils pas se faire, au sein des instances mondiales de normalisation comptable, les défenseurs de ce nouveau regard sur l?écart d?acquisition, et, chacun dans son pays, s?efforcer de convaincre les autorités économiques pour que cet amortissement soit fiscalement déductible.

Le débat sur la durée d?amortissement de cet écart se déplacerait rapidement sur celui des possibilités d?amortissement accéléré, chacun s?efforçant de consommer sans modération l?écart d?acquisition afin de minimiser sa charge fiscale.

 

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