Comment changer de perspective face à la crise ?

Par Paul Dembinski, directeur de l'Observatoire de la finance (Genève).

La spirale de la crise se déploie progressivement. Partie d'une catégorie d'actifs financiers, elle s'est étendue à la finance en général, pour atteindre de plein fouet l'économie "réelle". Le ralentissement économique fragilise un nombre croissant d'entreprises, ce qui augmente le chômage et affaiblit les bilans bancaires. La spirale est en place. Le G20 se réunit avec l'ambition affichée de la désamorcer. A-t-il la vision nécessaire pour le faire??

La situation n'est pas seulement compliquée, elle est aussi complexe. La longue liste des choses "à faire" figurant dans le communiqué de la réunion du G20 de novembre est significative. Elle démontre que le G20 manque de vision d'ensemble et d'un diagnostic partagé sur les priorités. Elle accable ce même G20, dont les responsables ont laissé s'accumuler, sans réagir, tant de problèmes pendant les trois dernières décennies d'euphorie économique.

Depuis 2007, alors que les pertes accumulées de la valeur d'actifs financiers sont estimées à environ 50.000 milliards de dollars, les pays du G20 ont injecté des sommes colossales dans le soutien aux banques et les plans de relance : pas loin de l'équivalent de 10% du PIB mondial, sans résultat probant. Ces sommes ont été injectées dans l'espoir de "faire repartir"  l'économie mondiale sur le sentier qu'elle aurait quitté sans raison valable, en août 2007.

Seulement, si la crise n'était pas un incident mais un accident?; si, pour en sortir, il ne fallait pas "réparer" mais "remplacer", c'est-à-dire infléchir de manière profonde le fonctionnement à venir de l'économie mondiale?? Dans cette perspective d'une "destruction créatrice" à l'échelle macroéconomique en marche, trois pistes méritent exploration.

Primo, plutôt que de déverser des milliards sur des structures économiques des pays du Nord, le G20 pourrait prendre le risque d'injecter massivement des moyens là où les besoins sont tels que la demande réagirait immédiatement à tout apport externe, ce qui bénéficierait par effet de ricochet aux puissances économiques. Le World Food Program mendie aujourd'hui 5 milliards de dollars, et la commission "Stiglitz" de l'ONU propose que 1 % des programmes de relance soit réservé aux pays du Sud (soit 20 milliards au mieux)?; mais il s'agirait de faire nettement, très nettement plus, comme le demandait récemment George Soros.

Secundo, si l'activité financière, concentrée dans les pays du Nord, produit un peu moins de 10% du PIB mondial, quelle est la part contribuant effectivement au "bien-être" et quelle est celle qui relève d'une captation de rente?? Au fur et à mesure que la finance s'effeuille sous le coup de nouvelles révélations, la question n'en devient que plus brûlante. Expérience faite des mines, des chantiers navals ou de l'automobile, plutôt que d'entretenir l'illusion que la demande de services financiers reviendra, ne faudrait-il pas aujourd'hui préparer des plans de restructuration du secteur pour permettre aussi aux collaborateurs de reprendre progressivement contact avec la réalité?? Ceci implique que le portage actuel du secteur financier par les États s'accompagne d'une pression forte vers son redimensionnement.

Tertio, si le G20 entend lutter contre les tentations protectionnistes, il ne précise pas le sens qu'il donne à ces termes. Or, le protectionnisme désigne tout choix qui ne se ferait pas exclusivement sur les critères du rapport qualité-prix. Aujourd'hui, d'autres critères surgissent sans être pour autant ni protectionnistes, ni déraisonnables. Quand les acteurs réduisent le périmètre de leurs activités, ils cherchent à retrouver des circuits économiques plus courts, à diminuer le nombre d'intermédiaires, à ancrer leur activité dans des réseaux de solidarité où le visage humain a sa place. Ces changements de micro-attitudes annoncent probablement une certaine déglobalisation, sans pour autant qu'il s'agisse du protectionnisme au sens propre, mais d'un changement de logique économique. Comment préparer une déglobalisation ordonnée, qui ne débouche pas sur la panique protectionniste?? C'est là encore un des défis du G20.

Le G20 a opté pour la voie, politiquement plus prudente, d'une longue suite de microréglages. Ce choix rend peu probables pour le moment les grandes options, dont la planète a plus besoin que jamais. Prendre le risque d'un changement de perspective demanderait, de la part du G20, un courage politique dont sont capables les leaders qui ont conscience d'avoir un rendez-vous avec l'Histoire et non pas seulement avec les caméras de CNN. Alors, vers un rendez-vous raté de plus??

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