Comment financer la branche famille ?

Par Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l'Université Lyon 3.

Le président de la république a souhaité qu'un député, Yves Bur, soit chargé d'une "réflexion sans tabou" relative au financement de la branche famille de la sécurité sociale [1], qui est assuré majoritairement par une cotisation patronale de 5,4%. Reprenant à son compte la complainte des organisations patronales, la lettre de mission émanant du Premier ministre suggère que "les cotisations patronales peuvent être pénalisantes pour la croissance et l'emploi" ; elle demande au chargé de mission de faire "des propositions d'évolution du financement de la branche famille, en précisant quelles recettes de substitution pourraient, le cas échéant, être mobilisées".

Ainsi ressurgit un vieux serpent de mer. Comment le harponner ? Les pouvoirs publics disposent pour cela d'une arme efficace et simple : il leur suffirait de dire: "chiche ! nous allons supprimer toutes les cotisations sociales dites patronales." Ce serait une vraie "rupture", qui ne diminuerait pas le coût du travail, mais changerait en profondeur les mentalités dans un sens tout à fait favorable à la croissance [2].

Supposons que les cotisations sociales, sur un salaire brut de 2.000 euros , s'élèvent à 20% pour la part salariale, et à 40% pour la part patronale. Le travailleur perçoit net 1.600 euros, l'employeur débourse au total 2.800 euros (salaire "super-brut"), et les organismes sociaux (Urssaf, Arrco, Unedic, ...) touchent 1.200 euros. Il serait facile d'obtenir les mêmes résultats (coût du travail pour l'employeur, salaire net, recettes des organismes sociaux) en remplaçant par des cotisations salariales l'intégralité de leurs homologues patronales :

- base de calcul des cotisations salariales, le salaire super-brut (2.800 euros)
- taux de cotisation salariale : 42,86%
- recette des organismes sociaux : 2.800 x 42,86% = 1.200 euros (inchangée)
- salaire net : 2.800 - 1.200 = 1.600 euros (inchangé)
- coût du travail pour l'employeur : 2.800 euros (inchangé).

Les cotisations continueraient à être recouvrées auprès des employeurs, mais les salariés recevraient une fiche de paie où une seule colonne suffirait pour indiquer les cotisations, exclusivement salariales. Cela ferait apparaître clairement l'importance du prélèvement subi par le travailleur sur le fruit de son labeur : la prise de conscience du vrai coût de la protection sociale s'améliorerait ; l'idée saugrenue selon laquelle une partie de ce coût ne serait pas à la charge des intéressés régresserait.

De plus, la France pourrait proposer à ses partenaires, notamment européens, une harmonisation des pratiques, ou au moins des statistiques : le salaire brut, simple base comptable dépourvue de signification économique, sert aujourd'hui aux comparaisons internationales, notamment pour les rémunérations et les taux de prélèvements, alors qu'il faudrait utiliser le salaire super-brut. La réduction apparente des taux de prélèvement en France (de 60%, soit 20% salarial plus 40% patronal, sur la base de l'ancien salaire brut, à 42,86%, sur la base du nouveau) rendrait visible l'absurdité de la base retenue par les organismes statistiques et amènerait les producteurs et diffuseurs de données internationales sur le coût du travail et le financement de la protection sociale à choisir une base permettant des comparaisons non biaisées. Enfin, les allègements de charge apparaîtraient désormais pour ce qu'ils sont : une subvention aux salariés modestes, de même nature que la prime pour l'emploi et le RSA.

Le mieux serait d'effectuer en une seule fois le basculement de l'ensemble des cotisations patronales sur les cotisations salariales. Mais la "rupture", en Sarkozie, consiste à faire de petits pas plutôt que des pas minuscules ou du sur-place. On pourrait donc effectuer d'abord le basculement pour la seule branche famille. En reprenant l'exemple simplifié précédent, le salaire brut passerait de 2.000 euros à 2.108 euros et la cotisation famille patronale au taux de 5,4% serait remplacée par une cotisation salariale de 5,12% ; le salaire net resterait à 1.600 euros, le coût du travailleur pour l'employeur à 2.800 euros, et le montant versé à l'Urssaf à destination de la Cnaf serait toujours de 108 euros.

Qu'est-ce qui changerait ? On cesserait de s'imaginer que la cotisation famille est une "charge" pour l'employeur ; on comprendrait plus facilement que la branche famille réalise, grâce inséparablement aux cotisations et aux prestations, une péréquation entre les actifs qui élèvent des enfants et ceux qui n'en élèvent pas, et que cette péréquation ne concerne pas directement les employeurs. Quant au monstre du Loch Ness, il regagnerait les profondeurs.

 

[1] Le décret de nomination, signé par le Premier ministre, a été publié au JO du 25 avril

[2] Pour une analyse plus détaillée, voir notre note de l'Institut Montaigne, "TVA, CSG, IR, cotisations ... Comment financer la protection sociale", mai 2006, 80 pages

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est une idée lumineuse et intelligente.

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