L'antitrust, une épine pour les géants des technologies

Par Ludwig Siegele, journaliste spécialiste des nouvelles technologies pour The Economist. Il a travaillé aussi pour Die Zeit et Le Monde.

"Cette histoire d'antitrust disparaîtra bien un jour." Ainsi parlait il y a dix ans Bill Gates, à l'époque dirigeant de Microsoft, lorsque fut déclenchée une action en justice contre sa société pour des raisons de concurrence. Eric Schmidt, le patron de Google, partage le même avis au regard de l'enquête récemment lancée sur le fait de savoir si l'accord passé entre sa société et les auteurs et les éditeurs sur le service de recherche de livres viole les lois de la concurrence.

Aura-t-il raison là où Bill Gates eut tort ? L'histoire se répète rarement, mais il y a des chances qu'Eric Schmidt passe plus que quelques heures avec des avocats spécialistes de ces questions dans les années à venir. Ce thème fait partie intégrante de l'industrie des technologies de l'information (IT), et ce pour trois raisons.

La première, c'est que les poids lourds de la technologie exercent une domination extrême, contrôlant quelquefois plus de 90% de leurs marchés, en raison de mécanismes économiques qui permettent au gagnant de presque tout rafler. Par exemple, Windows, le produit phare du système d'exploitation de Microsoft, a bénéficié des effets de son puissant réseau : plus il y a d'applications fonctionnant avec lui, plus il attire d'utilisateurs, qui en retour font que plus de développeurs conçoivent des programmes à leur intention. Les moteurs de recherche et de publicité en ligne induisent les mêmes effets : Google a la capacité de collecter plus de données pour obtenir de meilleurs résultats afin de mieux cibler les publicités ; ainsi obtient-il les moyens financiers pour bâtir des banques de données encore plus puissantes.

Une deuxième caractéristique, c'est qu'une position dominante peut être sapée par le progrès technologique. Ainsi, les gros ordinateurs ont été détrônés par les ordinateurs personnels. Cela explique pourquoi les géants du high-tech se vantent d'avoir une culture entrepreneuriale assez agressive. Conscient du danger, Google a choisi "Ne soyez pas diaboliques" comme devise d'entreprise.

Troisièmement, les entreprises IT recourent de plus en plus au lobbying antitrust vis-à-vis de leurs concurrents. Ainsi, IBM considère cela comme une "guerre de plates-formes" plus large, visant à éviter que Microsoft affirme et développe son double monopole, Windows et Office, la première offre de programmes pour PC. Et Microsoft pousse les autorités de la concurrence aux Etats-Unis à examiner l'attitude de Google. L'année dernière, il a fait pression sur le ministère de la Justice pour qu'il étudie un marché publicitaire en ligne entre le géant de la recherche et son rival Yahoo, accord qui a finalement été abandonné.

Ce qui rend Google plus vulnérable que Microsoft, c'est qu'il rend la vie plus difficile pas seulement à ses concurrents. Il a une telle capacité perturbatrice que nombre d'entreprises le regardent de travers : publicitaires, éditeurs, défenseurs de la vie privée, journaux, etc. Et puis, il y a la politique : la nouvelle administration américaine a juré d'être plus active que la précédente en matière de concurrence - et Google est une cible importante.

Cela ne signifie pas que Google finira sur le banc des accusés comme Microsoft. Il a vu comment ses prédécesseurs ont eu des ennuis avec les autorités antitrust et ont ensuite opéré plus prudemment. Néanmoins, Google n'est pas exempt de tout reproche. Les sociétés qui font de la publicité sur ses nombreux services, disent les critiques, apparaissent sur son moteur de recherche avant celles qui ne le font pas. Et parce qu'il détient une telle position de force dans la publicité en ligne, ajoutent-ils, il peut utiliser toutes sortes d'astuces, comme celle de retenir une partie des revenus tirés de la publicité affichée sur ses sites partenaires.

Pour éviter de telles critiques, Google devra travailler davantage pour devenir un modèle de transparence et un promoteur de la protection de la vie privée. Ne pas être diabolique ne sera pas suffisant à long terme. Google doit être une vraie force du bien s'il veut que cette histoire d'antitrust disparaisse vraiment.

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