Barack Obama à Moscou : un retour en force du nucléaire

Par Thomas Gomart, directeur du centre Russie/Nei (nouveaux Etats indépendants) de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Trois semaines après le premier sommet des Bric à Iekaterinbourg, Dmitri Medvedev reçoit Barack Obama à Moscou. Cette proximité illustre les ambitions d'une Russie décidée à apparaître comme un pays émergent et une superpuissance nucléaire. Pour Moscou, il s'agit de faire fructifier l'héritage nucléaire et de survaloriser son potentiel économique pour gagner en influence politique. Pour Washington, il s'agit de ne plus tenir la Russie pour quantité négligeable, même si elle appartient toujours aux pays à la "croisée des chemins". Obama vient donc moins pour séduire politiquement que pour progresser stratégiquement.

A l'ordre du jour : la sécurité européenne, l'Afghanistan et l'Iran. Sur ces trois dossiers, Obama a besoin de résultats tangibles, même si une visite ne suffira pas à dissiper l'héritage des années Bush. Pour la Russie, discuter directement avec Washington rehausse son statut vis-à-vis de la Chine ou de l'Union européenne. Cependant, le Kremlin ne parvient pas à surmonter le paradoxe suivant : il développe une rhétorique antiaméricaine, tout en cherchant à faire consacrer son retour de puissance par Washington. Il cherche à obtenir une reconnaissance implicite de sa zone "d'intérêts privilégiés" que les administrations Clinton et Bush se sont employées à fragmenter.

C'est pourquoi, il convient de ne pas se tromper sur la nature des relations russo-américaines. Insignifiantes sur le plan commercial, celles-ci sont structurantes sur le plan stratégique. Elles s'organisent par et pour le nucléaire, et demeurent donc largement tributaires de la guerre froide. Dans le discours, les deux administrations entendent adapter leurs arsenaux aux mutations du système international. Les deux présidents ont d'ailleurs convenu hier d'une nouvelle réduction des vecteurs et têtes nucléaires. Dans les faits, elles se heurtent à une divergence de fond sur l'évaluation des menaces futures.

En effet, la parité nucléaire a longtemps reposé sur le principe de destruction mutuelle assurée en cas de confrontation. Les deux pays disposent aujourd'hui d'environ 2.700 têtes nucléaires chacun, mais doivent adapter leurs dispositifs aux proliférations. Largement médiatisées, les propositions de réduction auraient des conséquences très différentes sur leurs capacités respectives. Dans le dernier concept stratégique russe (mai 2009), les Etats-Unis sont toujours présentés comme la principale menace stratégique, alors que la Chine n'est pas mentionnée. A l'inverse, les Etats-Unis s'inquiètent de possibles entrants dans le club nucléaire (Corée du Nord et Iran), mais aussi de la montée en puissance d'une Chine ne faisant pas forcément preuve de la plus grande transparence en la matière.

Ce décalage des perceptions est au c?ur des relations russo-américaines. La position de la Russie s'explique par une crainte d'un déclassement militaire combiné à une dépopulation rapide dans les deux prochaines décennies. Les Russes ont conscience qu'ils seront probablement plus riches économiquement, mais certainement plus faibles militairement. L'arsenal nucléaire demeure, à leurs yeux, l'unique moyen de résoudre cette contradiction. Cela conduit à esquisser la posture nucléaire suivante, posture que l'administration Obama espère encore pouvoir influencer.

Premièrement, il n'y aura nul renoncement au nucléaire, dans la mesure où il est constitutif du statut international de la Russie. Deuxièmement, le débat entre forces conventionnelles et forces stratégiques, présent depuis 1991, devrait à nouveau pencher en faveur des secondes. Troisièmement, à l'instar des Etats-Unis, la Russie entretient le flou sur ses intentions en matière de nucléaire tactique : l'apparition du concept de "dissuasion régionale" laisse à penser que cette dimension devrait se renforcer au détriment d'une approche globale.

Le c?ur de la discussion russo-américaine se situe désormais dans le lien entre désarmement nucléaire stratégique et développement de capacités antimissile. Les militaires russes redoutent la mise en place d'un troisième site en Pologne (après la Californie et l'Alaska) car il annoncerait d'autres implantations. C'est bien ce lien qui constitue aujourd'hui le plus puissant levier de négociation d'Obama pour définitivement braquer Moscou ou, au contraire, modifier durablement son positionnement stratégique. L'enjeu est de taille car l'arme nucléaire reste la mère de toutes les négociations à venir.

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