Carbone, le choix cornélien entre taxe et quotas

Abonnés aux gaz, CO2 inclus, aurait pu écrire Pierre Dac. Citoyens concernés par le problème du changement climatique, nous avons cherché à comprendre les deux outils, taxe et quotas, dont disposent les Etats pour lutter contre l'élévation de température annoncée. Sans appartenir ni à l'"école taxe", ni à l'"école quotas", donc originellement neutres, Olivier Ragueneau, océanographe, directeur de recherche au CNRS, et Jean-Luc Baradat, entrepreneur dans l'industrie des biotechnologies, analysent les avantages et les inconvénients de chacun.

Taxe ou quotas ? Les deux instruments, en donnant une valeur économique au CO2, permettent d'en réduire les émissions, puisqu'en théorie les acteurs économiques préfèrent réduire plutôt que d'émettre et de payer ensuite pour ces émissions. Ainsi, à un certain prix du CO2 correspond une certaine quantité de réduction d'émissions.

La France, en ratifiant le protocole de Kyoto, doit plafonner ses émissions de CO2 à 564 millions de tonnes par an pour la période 2008-2012. Si le pays reste sous ses quotas, il peut revendre ceux non utilisés à d'autres pays qui n'auraient pas réussi à contenir leurs émissions.

Parallèlement, à Kyoto, la Commission européenne a imposé à cinq secteurs industriels des quotas d'émissions. Ces industriels peuvent acheter ou vendre, sur le marché d'échange européen des quotas, les quantités dont ils ont besoin pour satisfaire à leurs obligations légales. En France, les quotas européens représentent environ un tiers des émissions couvertes par Kyoto.

Ainsi se pose la question pour les deux tiers restants : faut-il élargir le mécanisme des quotas ou bien établir une taxe pour contrôler ces émissions ? D'un point de vue théorique, les deux instruments sont équivalents. D'ailleurs, ils présentent de nombreux points communs :

? la taxe, tout comme la vente de quotas, permet aux Etats de collecter des fonds très importants ;
? la redistribution de ces fonds définit la société dans laquelle nous voulons vivre. Ce projet politique, passionnant et utile, sort du seul cadre du réchauffement climatique et concerne le choix de la politique fiscale du pays ;
? la mise en ?uvre demande aussi "un peu" de négociation : pour la taxe, choix de l'assiette et du taux, pour les quotas, fixation des quantités maximales d'émissions par secteur ou par activité ;
? l'Etat régulateur joue un rôle essentiel dans l'efficacité des deux instruments. En fixant le montant de la taxe ou les quantités de quotas, il donne une visibilité sur le long terme aux acteurs économiques pour les inciter à investir ;
? les deux outils sélectionneront les acteurs politiques courageux, charismatiques et pédagogues, qui porteront aujourd'hui le prix de l'essence de 1,25 à 1,50 euro par litre, puis qui continueront de l'augmenter chaque année ensuite, ceux qui feront adopter des quotas de réduction d'émissions de 30% ou plus aujourd'hui et de 80% avant 2050 ;
? taxe et quotas montreront que le bonheur existe aussi sans carbone, qu'il ne s'agit pas de revenir à un mode de vie moyenâgeux, mais de modifier nos comportements.

Passons de la théorie à la réalité. Oublions l'iniquité de la taxe (la dépense de carburant dans le budget des bas revenus est beaucoup plus importante que pour les hauts revenus) et son efficacité contestable en terme de réduction des consommations (les consommations de carburant et les émissions de CO2 sont en hausse depuis 1960). Ignorons aussi l'absence de "pédagogie CO2" propre au mécanisme de la taxe, qui fait que l'on paye une somme en euros, sans connaître la quantité de CO2 émise ou évitée. A l'opposé, le mécanisme des quotas a éduqué les acteurs industriels sur leurs émissions, objectifs et stratégies de réduction. L'argument qui nous fait désormais opter pour un mécanisme de quotas est beaucoup plus simple.

La taxe fixe un prix à la tonne de CO2, qui par voie de conséquence réduit les émissions. L'élasticité de la demande, c'est-à-dire la relation entre le prix et les réductions, forcément complexe, reste difficile à modéliser et à prédire. L'élasticité de la demande, voire l'inélasticité, ne peut se mesurer que a posteriori. Il n'y a jamais de certitude sur les réductions engendrées par le mécanisme de la taxe, seul son prix est certain.

A l'inverse, par définition, le mécanisme des quotas fixe des quantités. On observe ensuite l'adaptation du prix à ces quotas. La réduction des émissions est donc certaine et le prix qui en résulte inconnu. La différence est substantielle : on s'intéresse d'abord aux réductions. L'efficacité des quotas apparaît aussi dans d'autres secteurs comme la pêche (la gestion du stock de poisson n'est pas régulée par une "taxe poisson"), ou la diffusion de la musique (nombre d'heures minimal de chanson en langue française) pour n'en citer que deux.

Quand la ressource se raréfie, il faut la quantifier et agir de façon directe. Or, le phénomène physique du réchauffement climatique dépend bien de la quantité de CO2 dans l'atmosphère. Pour rester sous une hausse de température de 2 °C, il faut limiter la concentration de CO2 à 450 ppm (partie par million). C'est une donnée physique incontournable, qui impose un maximum d'émissions correspondant, pour la France, à 2 tonnes de CO2 par habitant et par an à l'horizon de 2050, au lieu de 8 actuellement (réduction d'un facteur 4). La certitude de l'évolution du climat, l'urgence et l'enjeu de guerre (prix Nobel de la paix 2007) imposent par conséquent le choix des quotas.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Que se passe-t-il si une entreprise, un secteur, un pays dépasse ses quotas ? Quelle est la puissance publique qui sanctionne et comment cete sanction peut-elle être ùise en oeuvre ? Reconnaissons que pour les taxes, nous avons une administration ad ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Sarkozy a fait un choix saugrenu en demandant à Rocard d'imaginer des réformes novatrices en matière d'économie d'énergie? Si ce vieillard avait des idées neuves cela se saurait depuis le temps qu'il fait de la politique. Il aurait fait des miracles...

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