Les nouvelles formes de fidélité au travail : la loyauté en pointillé

Par Véronique Nguyen, professeur affiliée à HEC, associée chez Elexent.

Les m?urs sont en avance sur les lois mais aussi sur les mythes structurants. La disparition de l'emploi à vie et la fin de l'engagement total et réciproque, entre une entreprise et ses employés ont laissé une béance qu'aucune conception alternative n'est venue combler. La nostalgie d'un âge d'or révolu, caractérisé par une alliance implicite "pour le meilleur et pour le pire", est secrètement cultivée par les employés mais aussi par les entreprises, qui doivent aujourd'hui retenir leurs talents.

Les employeurs sont en effet frappés de plein fouet par l'opportunisme qu'ils ont contribué à créer en remerciant des collaborateurs après de nombreuses années de bons et loyaux services. Une enquête Elexent-Jobsponsors sur le "turn over" des cadres (1) prouve que les salariés ont parfaitement assimilé les règles de l'économie de marché, et savent tirer profit de la fluidité des transactions sur le marché du travail pour optimiser, à tout moment, leur situation professionnelle. Les chiffres sont édifiants. 74% des cadres interrogés déclarent qu'ils vont tenter de trouver un emploi dans une autre entreprise au cours des douze prochains mois, alors même qu'ils ne sont pas fondamentalement insatisfaits de leurs conditions actuelles de travail (73% des personnes de l'échantillon affirment aller, la plupart du temps, travailler avec plaisir).

Autre élément démontrant que la loyauté a pris, de nos jours, un nouveau visage : presque la moitié des cadres de l'échantillon n'hésiteraient pas à partir à la concurrence : 48% envisagent de partir chez un concurrent de leur employeur actuel (43% chez un client et 59% pour une entreprise complémentaire en termes de produits ou de services).

Bien qu'il existe un lien entre départ et rémunération, cette étude démontre aussi que les principaux facteurs explicatifs du turnover ne sont pas de nature financière : les cadres ne sont pas des mercenaires à la solde du mieux offrant. Ils recherchent avant tout leur évolution personnelle avec des possibilités de progression en interne, la reconnaissance concrète de leur travail (avec une attribution équitable des augmentations de salaire et des promotions), ainsi que la qualité des relations avec leur(s) supérieur(s) hiérarchique(s).

Ayant pris le contrôle de leur carrière et la défense de leurs intérêts, les cadres se sont donc adaptés à la nouvelle donne économique et les entreprises ont dû, à leur tour, s'en accommoder.

Bien des départs non désirés laissent cependant un goût amer aux employeurs, et sont ressentis comme des pertes, voire des trahisons. Car en matière d'appartenance organisationnelle, il semble difficile d'échapper aux raisonnements binaires : on est à l'intérieur ou à l'extérieur, mais on ne peut pas être un peu membre de l'entreprise que l'on a quittée.

Pourtant, le turnover n'est pas un jeu à somme nulle quand l'employeur parvient à maintenir une relation positive avec ses anciens collaborateurs. Ceux-ci peuvent non seulement revenir, mais s'avérer aussi d'excellents apporteurs d'affaires, de partenariats, d'idées ou de candidats potentiels. Ils permettent alors à l'entreprise de développer son capital relationnel, au-delà de ses frontières naturelles.

Il ne semble pas y avoir d'obstacle au développement de telles relations, du côté des cadres. L'immense majorité des personnes interrogées (94%) déclarent qu'elles garderaient de bons rapports avec leur employeur actuel si elles devaient le quitter. Elles ne sont toutefois plus que 71% à considérer qu'elles pourront recommander leur employeur actuel à des candidats potentiels, et 60% à être une source de contacts commerciaux.

Pour combler cet écart et tirer parti d'un volant de turnover inévitable, il faut vraisemblablement s'abstraire d'une logique dichotomique et renoncer au dogme de l'exclusivité. Si l'on veut transformer ses anciens salariés en ambassadeurs discrets, en sources d'information, en ressources d'appoint, il est possible de s'inspirer de quelques entreprises pionnières qui ont su créer des bases de données idoines et animer des clubs d'anciens.

A l'ère où les réseaux sociaux en tous genres se multiplient, une nouvelle conception des liens avec ses collaborateurs, non plus sur le registre du tout ou rien mais sur le mode du pointillé, constituerait un changement de paradigme favorable à l'émergence de liaisons souples et épisodiques, profitables à l'ensemble des protagonistes.

 

(1) Enquête menée entre octobre 2008 et février 2009, auprès d'un échantillon de 274 cadres, âgés en moyenne de 30 ans.

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