Les syndicats français face à la rigueur grecque

La crise grecque va-t-elle modifier l'attitude des syndicats français dans la réforme des retraites ? A première vue, non, chaque grande organisation faisant une lecture de la crise et du plan d'austérité conforme à sa doctrine maison. Seulement, les Français se montrant plus convaincus par l'urgence de la réforme, les syndicats prendraient un risque de perte d'influence à ne pas bouger. Un risque que le gouvernement a bien compris.

Quatre des cinq syndicats français ont envoyé aujourd'hui à Athènes une délégation symbolique de soutien aux salariés grecs contre le plan d'austérité. Faut-il y voir la solidarité des travailleurs dans l'épreuve, ou le signe envoyé au gouvernement français qu'il ne doit pas tenter d'exploiter les malheurs hellènes ? Car, par son ampleur et ses modalités, le plan de sauvetage de la Grèce pourrait bien être le catalyseur providentiel de la réforme des retraites en France, en amenant chacun à considérer qu'elle est bel et bien incontournable.

Deux Français sur trois pensent que la crise grecque va se propager en France, selon un sondage CSA-Le Parisien. Aussi, à la question, "comment les rassurer ?", la ministre de l'Economie répond dans Le Monde : "par des réformes structurelles. Voyez ce qu'ont décidé les Grecs, dit Christine Lagarde : 40 années de cotisation, un âge de départ à 65 ans révisable et le calcul de la pension sur l'intégralité de la vie professionnelle au lieu des cinq dernières années." Années de cotisation, âge légal de départ en retraite, mode de calcul des pensions... Christine Lagarde a fait des mesures grecques une référence.

Les syndicats ont bien compris le danger que ce plan d'austérité vienne neutraliser leur capacité de mobilisation des Français contre la réforme en préparation : "on entre dans un cycle de chantages qui n'a aucune raison de s'arrêter à la Grèce, à l'Espagne ou au Portugal", protestait dès le 2 mai Bernard Thibault au Grand Jury RTL. Mais à l'évidence, le leader cégétiste proteste mollement : il explique lui-même le risque accru de dégradation de la dette publique française, et le coût faramineux que cela entraînerait pour les finances publiques, donc pour les travailleurs. Il sait aussi que d'autres mesures d'économies vont être annoncées. Bref, il a intégré le logiciel de la réforme.

Seulement, il ne peut pas le dire. Enoncer les raisons de la crise grecque reviendrait à admettre que le dérapage des dépenses publiques et sociales présente un danger. Aussi, ne dit-il pas que les dépenses publiques grecques ont dérapé, mais seulement que les "comptes ont été maquillés avec la complicité des institutions européennes". Autre lecture partisane de la crise grecque chez le leader FO, Jean-Claude Mailly : "c'est la crise qui est responsable de l'explosion des déficits et de l'endettement grec, dit-il. Elle a contraint l'Etat à sauver les banques et à soutenir l'activité, tout en pesant sur le niveau des recettes." Au contraire de la CFDT et de la CFE-CGC qui, toutes deux, voient dans le maintien d'un déficit durablement trop élevé le vrai responsable, l'attentisme de l'Europe n'ayant fait qu'aggraver la situation.

De la lecture de l'origine de la crise découle leur jugement sur le plan d'austérité. Secrétaire général adjoint de la CFDT, Marcel Grignard dit : "ne pouvant ni se refinancer sur les marchés ni sortir de l'euro, la Grèce ne pouvait échapper à ce plan d'austérité." A l'inverse, la CGT et FO estiment ces mesures à la fois injustes et contre-productives : "les salariés n'en sont pas les responsables, mais ils vont payer les pots cassés, dénonce Jean-Claude Mailly. Or réduire leurs revenus ne fera que les plonger dans la récession."

"Comment va-t-on assurer la croissance, et donc le financement des dépenses publiques à venir ? dit dans la même veine Bernard Thibault. Il n'y a pas d'avenir pour cette Europe de la précarité et du dumping social qui est en train d'arriver partout. Notre problème à tous en Europe, ce ne sont pas les dépenses publiques, mais l'insuffisance des recettes." La crise grecque n'a donc apparemment pas changé leur doctrine sur les dépenses publiques, comme sur les réformes.

"On ne peut en rien se comparer à la Grèce", dit Jacques Voisin, de la CFTC. "La situation de la fonction publique grecque n'est pas transposable à la France", dit aussi Marcel Grignard. Elle n'aura donc rien changé : "nous étions déjà convaincus que nous n'avions d'autre choix que de réformer des systèmes sociaux bâtis à une autre époque pour assurer leur équilibre global à long terme", dit le leader cédétiste, qui privilégie la réforme globale de la fiscalité sur le report de l'âge légal laquelle, selon lui, accroîtrait les inégalités. "Entre responsables syndicaux, la crise grecque n'est pas un sujet", dit-il. Pour combien de temps ? Car, reconnaît Bernard Van Craynest, le leader CFE-CGC, "elle montre que lorsque les déficits sociaux dérapent, il faut prendre des mesures avant qu'elles ne s'imposent à nous. Il nous faut affronter la réalité." En clair, peuvent-ils l'ignorer si deux Français sur trois redoutent un effet de contagion, qu'ils savent possible ? Jusqu'où les syndicats peuvent-ils prendre le risque de le taire ? Surtout s'ils sont aussi divisés ?

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Commentaires 2
à écrit le 05/05/2010 à 19:20
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"On ne peut en rien se comparer à la Grèce", il n'y a pas d'iceberg sur notre route, et de toutes façons on est insubmersible. Comment font-ils?

à écrit le 05/05/2010 à 16:16
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C'est connu, on est les plus forts en tout : l'assistanat généralisé, des associations à tous les coins de rue, des indemnités à ne plus en finir, des aides qui pleuvent, des fonctionnaires en grêve quasi-mensuelle, etc etc.... et pendant ce temps, l...

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