"La fraude est consubstantielle aux activités de marché"

Chaque semaine, La Tribune décrypte une phrase ou une citation qui marque un temps fort de l'actualité politique, sociale ou économique.

Au deuxième jour du procès Kerviel le 9 juin, cité à comparaître comme témoin, le patron de la banque de financement et d'investissement de la Société Générale au moment des faits présumés, Jean-Pierre Mustier, a affirmé : "la fraude est consubstantielle aux activités de marché."

Toute règle est, certes, appelée à être déviée. Mais dans les circonstances présentes, c'est ce qui s'appelle se tirer une balle dans le pied ! "Soit on la prend au premier degré, à savoir "il n'y a pas d'activité de marché sans fraude", et c'est tout de même particulièrement contre-productif dans la bouche d'un haut responsable de la banque partie civile dans cette affaire, et qui prétend que l'accusé est un fraudeur, dit Me Dominique Schmidt. Soit on la prend au second degré, à savoir que les activités de marché étant si diverses et peu régulées que la tentation de la fraude chez ses acteurs ne peut être que naturelle, et alors, cela charge l'auteur de ses propos ! Car si sa conviction est que les marchés sont un terrain naturel à la fraude, alors il démontre par là même qu'il a failli en ne mettant pas en oeuvre les procédures de contrôle qui permettraient sinon d'empêcher des fraudes de cette ampleur, du moins de les détecter dans un délai qui se compte en jours et non en mois."

Au-delà de l'erreur tactique, cette phrase sonne comme l'aveu d'un homme dans un état de nervosité extrême, et qui serait entendu non pas comme témoin mais comme s'il était lui-même l'accusé. Un homme qui craque et qui, en une phrase, livre dans un lapsus éclair toute sa vision des activités de marché. Primo, décrypte l'économiste des marchés David Thesmar, "c'est un monde de zones grises où l'on franchit facilement la ligne jaune. En particulier, la limite entre information publique et information privée susceptible d'être à l'origine d'un délit d'initié n'est pas claire, surtout dans les banques qui font des activités de conseil et des opérations pour compte propre. C'est même le paradoxe de Grossman-Stiglitz : il faut un minimum d'opacité pour que les marchés fonctionnent, car si tout le monde sait tout en même temps, les actifs ne sont jamais sous-évalués, et personne n'a intérêt à investir."

Secundo, explique l'ancien "trader" Thami Kabbaj, "c'est un univers où les sommes manipulées sont telles, et où les modes de rémunération sont construits de telle sorte que cela pousse les traders à prendre des risques inconsidérés, et très supérieurs à ceux permis par leur hiérarchie." En clair, ce sont les mécanismes de gestion de ces activités qui font perdre pied avec le réel, et poussent à la faute. Tertio, explique un autre ancien "trader", c'est un univers où les modèles théoriques de valorisation sont si sophistiqués que toutes les manipulations sont possibles, en particulier des calculs de performances des traders comme des résultats des banques.

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