Finance mondiale : avons-nous changé quelque chose ?

Partie d'objectifs louables - réduire le coût d'accès au capital et les frais d'exécution des ordres - la directive Marchés d'instruments financiers (MIF) a eu pour effets pervers d'accroître l'opacité et de déstructurer, via une hyperfragmentation, la partie transparente des marchés. Une réforme s'impose si l'on veut maintenir des marchés régulés et transparents et éviter les erreurs du passé.

La crise qui continue d?ébranler l?économie mondiale trouve, pour beaucoup, son origine dans un recours massif à la dette dans le secteur privé. En l?espace de deux ans, cette excès d?endettement a été largement socialisé et en grande partie transféré vers les Etats. Il faut être lucide : poursuivre des politiques budgétaires et fiscales généreuses conduirait sans aucun doute à la faillite du système. Les Etats, qui se doivent de protéger la qualité de leur signature, ultime garantie de la stabilité de nos sociétés, ne sont certainement plus en mesure de supporter le poids d?une nouvelle crise systémique, qui nous placerait donc dans une zone de danger extrême.

 

Or, force est de constater que le système financier est loin d?avoir été purgé de toutes ses déficiences et que les comportements sont encore loin du niveau de responsabilité requis au vu de la sévérité des risques encourus. De surcroît, la confiance au sein des marchés financiers continue à être sérieusement détériorée comme l?atteste la volatilité exceptionnelle observée depuis plusieurs mois.

 

Le G20 s?efforce d?apporter une réponse politique adaptée dans le cadre d?un agenda de réformes qui nécessite du courage. Hélas, malgré toutes les alertes, la situation sur les marchés d?instruments financiers n?évolue pas dans un sens qui soutiendra efficacement son action. En Europe, l?esprit de la directive Marchés d?Instruments Financiers (MIF) a manifestement été détourné. A l?origine, la MIF avait des buts louables : réduire le coût d?accès au capital ainsi que les frais d?exécution des ordres. Or, deux ans et demi après son introduction, ni les investisseurs ni les émetteurs n?en ont retiré de réels avantages. Pis, elle a eu pour effets pervers d?accroître l?opacité et de déstructurer, via une hyper-fragmentation, la partie transparente des marchés.

 

Sur les activités actions, la part des transactions réalisées dans l?opacité a grimpé de 20% des volumes totaux en 2007 à plus de 40% aujourd?hui. Elle représente 80% des produits dérivés et 95% du marché obligataire. Par ailleurs, des formes d?exécution opaques, non prévues par la MIF, sont apparues, comme les "crossing networks" (systèmes d?échange de titres internes à une banque), à l?accès totalement discrétionnaire, tandis que les "dark pools" (plateformes opaques d?échange de blocs d'actions), à coups d?exemptions successives, traitent désormais tout type d?ordres, s?éloignant de leur fonction première, la négociation de blocs de titres.

 

Désormais érigée en véritable industrie, l?activité OTC ("over the counter"), qui par nature opère sans contrôle des régulateurs, vide les marchés transparents de leur substance, met à mal le mécanisme de formation des prix, empêche la juste évaluation des actifs et piétine la nécessaire protection de toutes les classes d?investisseurs, y compris les particuliers. Surtout, elle est incompatible avec un retour durable de la confiance sur les marchés et accroît très significativement le risque systémique puisque pratiquement aucune transaction réalisée de gré à gré n?est protégée par le filet de sécurité qu?est la compensation.

 

La MIF a également eu pour effet, sous le dogme européen de l?ouverture à la concurrence, de permettre la création d?une multitude de plateformes de négociation alternatives. Si l?intention est louable là aussi, l?implémentation et ses effets sont beaucoup plus discutables. Ces plateformes électroniques bénéficient d?une série d?avantages compétitifs aussi déterminants que désormais injustifiés. La liste est longue et laisse pantois : arbitrage de régulation (elles sont toutes basées à Londres), coûts de régulation allégés, surveillance extrêmement rudimentaire, activité concentrée sur les seules valeurs les plus liquides au détriment des PME, absence totale de personnel hors de Londres tout en ayant une activité paneuropéenne, contraintes de résilience technologique réduites? Tous ces avantages, mis bout à bout, semblent constituer une distorsion de concurrence alors même que le modèle de ces plateformes n?apparaît toujours pas viable.

 

Au même moment, les marchés réglementés, étroitement surveillés par des équipes de haut niveau et par l?ensemble des régulateurs européens, ?uvrent au service des places financières où ils opèrent tout en servant les intérêts de l?ensemble des sociétés cotées, des petites et moyennes valeurs aux plus grandes entreprises. Ce qui est en jeu ici, c?est l?intégrité et la stabilité des marchés, avec une fragmentation de la liquidité, une dissociation potentielle entre le lieu de formation des prix (sur les marchés réglementés) et celui, potentiellement discrétionnaire, où s?exécutent les transactions, et une difficulté croissante pour réguler l?ensemble des activités boursières. Le "flash crash" du 6 mai dernier aux Etats-Unis a été une illustration criante des effets néfastes de cette déstructuration.

 

Ce constat est tristement ironique alors que le besoin de transparence et de stabilité des marchés ne s?est jamais manifesté de façon aussi aiguë. La combinaison des deux phénomènes, opacité galopante et hyper-fragmentation des marchés, aura pour conséquence ultime, si rien n?est fait, d?entraîner à terme la disparition totale des marchés régulés et transparents.

 

Dans ce contexte, on pourrait penser que le débat progresse à grand train afin que des solutions salutaires émergent. Eh bien non. Des bataillons de lobbyistes entretiennent des débats sophistiqués d?une stérilité désarmante au regard des enjeux de société. Savoir si l?opacité représente? 38% ou 43% sur le marché des actions n?a que très peu d?importance quand on sait, outre l?ordre de grandeur, qu?elle a doublé en deux ans. Cela devrait suffire à rallier les bonnes volontés pour réformer le système et placer l?intérêt collectif avant les intérêts partisans. Il appartient à tous les acteurs de l?industrie financière d?adopter un comportement responsable et d?agir pour restaurer la fonction première des marchés financiers. L?histoire nous jugera sur actes.

 

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