La croissance autoritaire : un mythe bien fragile

L'idée que les régimes autoritaires favorisent la croissance économique est démentie par l'histoire. Les régimes autoritaires ne peuvent favoriser l'innovation, ni même la volonté de suprématie économique. Les puissances émergentes les plus solides sont les pays qui ont déjà accompli leur transition démocratique.

La relation entre la politique d'une nation et ses perspectives économiques est un des sujets les plus fondamentaux - et des plus étudiés - des sciences sociales dans leur ensemble. Quelle est la meilleure configuration politique pour la croissance économique : une main directive forte ou une pluralité d'intérêts concurrents ? Des exemples est-asiatiques (Corée du Sud, Taïwan, Chine) semblent appuyer la première proposition. Mais comment alors peut-on expliquer le fait que presque tous les pays riches, à l'exception de ceux qui doivent leur richesse à leurs seules ressources naturelles, sont des démocraties ?

L'étude systématique des évidences historiques, plutôt que des cas individuels, montre plutôt que la nature autoritaire des régimes a peu de lien avec la croissance économique. Pour chaque régime autoritaire parvenu à une croissance rapide, il s'en trouve plusieurs qui ont stagné.

Pour chaque Lee Kuan Yew de Singapour, on compte de nombreux Mobutu Sese Seko du Congo. Les démocraties réussissent non seulement mieux que les dictatures en termes de croissance à long terme, mais aussi dans de nombreux autres domaines majeurs. Elles assurent une plus grande stabilité économique. Elles parviennent mieux à s'ajuster aux chocs économiques externes. Elles génèrent plus d'investissement en capital humain - santé et éducation. Et elles produisent des sociétés plus équitables. Les régimes autoritaires, à l'inverse, finissent par produire des économies aussi fragiles que leur système politique. Leur potentialité économique, lorsqu'elle existe, repose sur la puissance de dirigeants individuels ou sur des circonstances favorables mais temporaires. Ils ne peuvent aspirer à une innovation économique soutenue ou à une suprématie économique mondiale.

La Chine apparaît donc comme une exception. Depuis la fin des années 1970, elle connaît des taux de croissance inégalés. Mais elle demeure aussi un pays comparativement pauvre. Sa progression économique future dépendra en grande partie de sa capacité à gérer l'ouverture de son système politique à la concurrence, de la même manière qu'elle a ouvert son économie.

Sans cette mutation, le manque de mécanismes institutionnalisés pour exprimer et organiser la dissidence produira à terme des conflits qui dépasseront la capacité du régime à les réprimer.

La mutation de la Turquie mérite d'être observée attentivement. Cette puissance économique naissante au Moyen-Orient semblait destinée jusqu'à récemment à devenir la seule démocratie musulmane de la région. Au cours de son premier mandat, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait ainsi fait quelques ouvertures, notamment pour aligner le système judiciaire sur les normes européennes. Mais plus récemment, Erdogan et ses alliés ont lancé une campagne pour intimider leurs opposants et renforcer le contrôle du gouvernement sur les médias et les institutions publiques. Ils ont incarcéré des centaines d'opposants sous de fausses accusations. On ne peut se cacher que ce tournant est un mauvais signe pour l'économie turque, malgré la force de ses fondamentaux. Il aura des effets corrosifs sur la qualité des choix politiques ainsi que sur ses prétentions de parvenir à un statut économique mondial.

Pour trouver de réelles puissances économiques montantes, il faut donc se tourner vers le Brésil, l'Inde ou l'Afrique du Sud, qui ont déjà accompli leur transition démocratique et pour lesquels une régression paraît improbable. Certes, chacun de ces pays connaît des problèmes. Le Brésil doit encore trouver la voie vers une croissance rapide. La démocratie de l'Inde a une manière pour le moins exaspérante dans sa façon de résister au changement économique. Et l'Afrique du Sud souffre d'un niveau de chômage incroyablement élevé.

Mais ces défis ne sont rien en comparaison de la tâche gigantesque de mutation institutionnelle qui attend les régimes autoritaires. Il ne faudra pas s'étonner de voir le Brésil laisser la Turquie mordre la poussière, l'Afrique du Sud surpasser la Russie et l'Inde bénéficier de meilleures performances que celles de la Chine.

© Project Syndicate

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