Hermès : une forteresse (presque) imprenable

Le statut de société en commandite est une arme anti-OPA efficace mais pas à toute épreuve. Même en tant que simple actionnaire non membre du conseil de surveillance, un commanditaire peut exercer un véritable pouvoir de nuisance.

La prise d'une participation importante de LVMH dans le capital d'Hermès suscite de nombreux commentaires parmi lesquels figure le statut de société en commandite par actions, souvent présenté comme étant l'arme ultime anti-OPA. Il est vrai que la commandite a de nombreux avantages. Alors que dans une société anonyme, l'actionnaire majoritaire en assemblée générale est investi du pouvoir de désigner les membres du conseil d'administration (ou de surveillance) et donc, indirectement, le président et le directeur général (ou les membres du directoire), dans une commandite, les actionnaires, même majoritaires en assemblée, sont dépourvus d'un tel pouvoir. L'associé commandité, lorsqu'il est gérant, est dans une position particulièrement favorable, sa nomination et surtout sa révocation pouvant rarement avoir lieu sans son accord. Le gérant est certes révocable en justice pour cause légitime mais, sauf malversations avérées ou total désintérêt pour la gestion sociale, cette cause légitime est très difficile à établir.

L'associé commandité, s'il est également gérant, peut donc rester à ce poste alors même qu'il est largement minoritaire au capital de la société. La commandite par actions, grâce au découplage entre la détention du capital et l'exercice du pouvoir, permet de contrôler la société avec une participation capitalistique très minoritaire. Pour autant, en cas d'OPA, la commandite est-elle inexpugnable ? Le Code de commerce n'est pas sans protection pour les commanditaires. La prise d'une participation importante, voire la prise de la majorité du capital d'une commandite, si elle n'offre pas la faculté de remplacer les membres des organes dirigeants, confère à tout le moins la possibilité de contrôler la gestion. En effet, l'action du gérant est soumise aux fourches Caudines d'un conseil de surveillance dont seuls peuvent être membres les commanditaires, membres qui sont élus uniquement par les commanditaires, sans intervention des commandités.

Il n'est donc pas impensable que, forts d'une participation suffisante, les commanditaires prennent le contrôle du conseil de surveillance. Or, les prérogatives de cet organe sont loin d'être minces. Disposant des mêmes pouvoirs que les commissaires aux comptes, assumant le contrôle de la gestion, informant l'assemblée générale des inexactitudes et irrégularités des comptes et autorisant les conventions avec le gérant, le conseil de surveillance peut rapidement s'ériger en contre-pouvoir et mener la vie dure au gérant commandité.

Même en tant que simple actionnaire non membre du conseil de surveillance, un commanditaire peut exercer un véritable pouvoir de nuisance au sein de la société. Certaines de ces attributions sont classiques, qu'il s'agisse des questions écrites posées en assemblée ou d'une expertise de gestion visant à faire la lumière sur certaines opérations de gestion. La publicité donnée et aux questions et aux réponses peut déjà être particulièrement problématique si les sujets abordés sont pertinents ou, à tout le moins, semblent l'être.

Le commanditaire disposant d'une majorité suffisante peut également refuser d'approuver les comptes, tarissant à la source les revenus des commanditaires mais également des commandités, tous brutalement privés de dividendes. Priver de revenus des commandités et commanditaires tout en leur offrant par ailleurs de racheter leurs titres pour un montant substantiel, voilà qui peut faire vaciller les résolutions les plus solides. Ce commanditaire peut également s'opposer à toute décision d'augmentation de capital et ainsi mettre un frein au développement de la société.

De plus, s'il est l'actionnaire disposant du plus grand nombre de voix, le voilà membre du bureau de l'assemblée et donc susceptible d'influer sur les débats et les votes exprimés en assemblée. Le bureau ayant notamment pour fonction de contrôler que les participants à l'assemblée sont bien actionnaires, le commanditaire pourrait ainsi se retrouver dans la situation cocasse où il aurait à se prononcer sur ses propres franchissements de seuils et donc être peu regardants sur ces derniers.

Enfin, depuis la loi du 31 mars 2006 transposant la directive OPA, nombre de défenses anti-OPA doivent faire l'objet d'une autorisation préalable ou d'une confirmation de l'assemblée générale des actionnaires. Si le commanditaire a une participation suffisante pour empêcher la mise en oeuvre de ces protections, la défense de la société en sera substantiellement affaiblie.

Un commanditaire importun mais important, s'il n'est pas en mesure de prendre le contrôle de la société simplement en faisant l'acquisition de la majorité des droits de vote en assemblée, est, en revanche, en situation de mener une guerre de positions suffisamment préjudiciable à la société et à ses actionnaires pour amener ses dirigeants à négocier une OPA plus ou moins amicale dans des conditions convenables. La commandite n'est donc pas une forteresse imprenable en présence de conquérants déterminés, mais à condition d'y mettre le temps et le prix.

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