Luxe : par l'Europe, mais pour le reste du monde

Face aux mutations du monde, l'impératif industriel s'impose à l'Europe pour éviter le déclin. C'est le thème choisi pour les 6es Rencontres de l'entreprise européenne qui se dérouleront le mardi 23 novembre prochain, en partenariat avec Roland Berger Strategy Consultants et HEC. Dixième et dernier volet : l'industrie du luxe, dont les ventes sont dopées par la montée en puissance des consommateurs des pays émergents. Un secteur dans lequel les groupes français (LVMH, Hermès...) dominent, en attendant l'arrivée inévitable des marques chinoises...
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Fini l'entre-soi dans le luxe ! Il y a dix ans encore, les sacs, chaussures et autres robes à paillettes étaient fabriqués par des Européens pour des Européens. Le « par » reste d'actualité. Le « pour » beaucoup moins. Aujourd'hui, seulement 38 % des achats de produits de luxe sont effectués en Europe (contre 50 % en 2000) sur un marché estimé par le cabinet de conseil Roland Berger à 157 milliards d'euros en 2009. Le Vieux Continent cède tous les jours un peu plus sa place aux nouvelles capitales du luxe : Los Angeles, New York, Singapour, Shanghai ou Hong Kong. La zone Amérique est passée de 18 % à 31 % des achats mondiaux entre 2000 et 2008. L'Asie de 13 à 14 %, avec une accélération fulgurante ces dernières années.

La Chine mène le bal. Sa croissance fait d'elle le premier pays consommateur dans le monde. Non contents de dépenser dans leur propre pays quelque 8,6 milliards de dollars en crèmes Chanel, sacs Vuitton et montres Rolex, les Chinois en achètent 11,6 milliards supplémentaires à l'extérieur, là où, comme à Hong Kong, les taxes sont 20 % moins chères. L'année dernière a été particulièrement difficile pour le continent européen. L'affaiblissement de la demande des résidents, en mal de pouvoir d'achat, s'est conjugué à la baisse de la fréquentation touristique. « Les touristes étaient 10 % de moins au cours des quatre premiers mois de l'année 2009 et leurs dépenses ont souffert de l'appréciation de l'euro par rapport au dollar et au yen », explique Bernard Malek, partner en charge du luxe chez Roland Berger. Depuis, les touristes, chinois en tête, sont revenus.

Mais, si les clients ont les yeux plus bridés ou parlent désormais avec un fort accent texan, les fabricants de luxe restent très européens. Les plus grands groupes sont toujours les mêmes qu'il y a dix ans : LVMH, Hermès, qui ne feront peut-être plus qu'un, un jour, Richemont ou PPR. Les Français ont d'ailleurs accentué leur avance sur leurs voisins italiens ou suisses. L'Hexagone produit à lui seul 40 % des costumes, sacs, bijoux, etc., contre 34,7 % en 2000. Dans le même temps, l'Italie est passée de 27,6 % à 18,1 % et la Suisse de 16,7 % à 13,3 %.

De l'artisanat à l'industrie

La grande bataille que se livrent le groupe de Bernard Arnault et celui de François Pinault depuis vingt ans a transformé ce marché historiquement très artisanal en vraie industrie. Comme Louis Vuitton, passé du petit malletier à la cash machine présente sur tous les continents, les grands groupes se sont internationalisés. Bulgari, Swatch Group, Chanel ou Burberry réalisent tous plus de 50 % de leur chiffre d'affaires en dehors de leur pays d'origine. Les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont les figures de proue de la conquête. « Nous regardons du côté du Brésil pour nos prochaines acquisitions », confiait récemment à « La Tribune » un cadre de PPR. LVMH annonçait en août privilégier la Chine pour ses deux prochains investissements. Hermès vient d'ouvrir sa nouvelle marque, Shang Xia, en Chine pour célébrer le savoir-faire millénaire de l'empire du Milieu. « Il serait dangereux de se focaliser uniquement sur la Chine », nuance le directeur général de Louis Vuitton, Yves Carcelle, qui vient d'ouvrir de nouvelles boutiques à Beyrouth, en République dominicaine ou même à Oulan-Bator.

Même en matière de production, l'étranger fait moins peur. De plus en plus de groupes font fabriquer hors d'Europe, en commençant par les parties peu valorisées des produits : semelle des chaussures Vuitton en Inde, laques Hermès au Vietnam... L'arrivée d'un luxe qu'on pourrait qualifier de low-cost, comme Mauboussin en joaillerie ou le fabricant américain de sacs Coach, encourage cette orientation. Après l'Europe, puis les États-Unis (Estée Lauder) et le Japon (Shiseido), le luxe pourrait demain venir des bassins où les nouveaux consommateurs se multiplient. Les Chinois ont déjà développé quelques grandes marques de joaillerie telles que Qeelin ou Chow Tai Fook.

Pour rester dans la course, le Vieux Continent a donc quelques beaux défis à relever. Celui par exemple de pérenniser et de valoriser ses savoir-faire. Selon Roland Berger, le secteur du luxe fait vivre directement ou indirectement plus de 800.000 personnes en Europe. Les façonniers français, qui ont subi des baisses de commandes de 30 % à 50 % l'année dernière, ont tiré la sonnette d'alarme. Les entreprises du luxe doivent aussi s'adapter toujours plus vite aux attentes des consommateurs. Elles ont par exemple beaucoup misé sur les accessoires, plus accessibles en prix, passés de 10 % à 22 % du total des produits de luxe en dix ans. Après avoir longtemps boudé Internet, elles s'y sont toutes converties, de même qu'aujourd'hui aux réseaux sociaux type Facebook. Une tendance croissante qui pourrait bien bouleverser à l'avenir les hiérarchies d'un marché en ébullition...

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