Comment gagner la bataille de l'intelligence ?

L'Executive MBA d'HEC fête ce mardi ses 80 ans. Cette formation diplômante fait partie du département Executive Education d'HEC, classé deuxième mondial par le Financial Times en 2010, qui forme des cadres supérieurs et dirigeants. Héritier du CPA (Centre de perfectionnement aux affaires) qui introduisit l'étude des cas en France sur le modèle de la Harvard Business School, l'Executive MBA forme chaque année 350 décideurs issus de 60 pays, âgés en moyenne de 40 ans avec quinze ans d'expérience professionnelle. La Tribune s'est associée à l'événement, organisé autour de cas d'entreprises et de tables rondes, en présence de 450 diplômés. Parmi les moments forts de cet anniversaire, une table ronde autour de la bataille mondiale de l'intelligence et de la formation, que mènent des grandes institutions comme HEC, et un débat autour de la question : "quel leadership, avec quelles valeurs, pour construire le monde d'après ?"

Bertrand Moingeon (HEC Paris)

Dans notre monde globalisé où la turbulence est une donnée de base, gagner la bataille de l'intelligence ne demande pas seulement de savoir s'adapter, mais aussi d'introduire des innovations radicales. La devise d'HEC Paris est "apprendre à oser". En "Executive Education", elle prend un sens tout particulier : il s'agit pour les cadres dirigeants en activité d'oser se remettre radicalement en question et porter un regard différent sur l'exercice de leur métier. Cette impérieuse audace, cet indispensable questionnement quotidien des pratiques professionnelles, sont particulièrement stimulés dans les études de cas. Elles constituent l'ADN de l'Executive MBA HEC, héritier du CPA, qui introduisit ces pratiques il y a 80 ans en France.

Ces études de cas sont des lieux de bouillonnement collectif et de confrontation indispensables. Elles valorisent la mise en perspective, la créativité, la réflexivité (capacité à s'interroger sur son propre comportement), l'imagination, la valorisation des complémentarités dans une équipe, la prise de risque... Elles affûtent les dirigeants dans leur capacité entrepreneuriale et d'innovation, dans l'apprentissage d'une éthique économique et sociétale.

Rares sont les domaines où les talents s'expriment en effet en solistes. C'est le jeu de l'orchestre qui prime. Dans notre monde hyperconnecté, où la notion de réseau complète celle d'équipe et où l'entreprise interagit en permanence avec son écosystème, nos dirigeants en formation apprennent à dépasser l'excellence individuelle du soliste, pour s'épanouir dans l'échange et l'apprentissage collectif.

Accueillant plus de 60 nationalités dans nos programmes, désormais implantés au Moyen-Orient, en Chine, en Russie, ainsi que sur le continent africain, je peux témoigner de l'intérêt croissant du monde économique sous toutes les latitudes pour des formations visant spécifiquement les dirigeants et cadres à haut potentiel. Cet intérêt n'est plus l'apanage de la culture anglo-saxonne ou européenne comme en témoigne la grande variété des origines nationales de nos participants.

Renforcer la capacité des cadres dirigeants de tous pays à apprendre à oser, oser se comporter en "praticiens réflexifs", architectes d'un monde responsable, telle est l'ambition d'HEC Paris.
 

TEMOIGNAGES : "Quel leadership, avec quelles valeurs, pour construire le monde d'après ?"

Elisabeth Ducottet (promotion 1992), présidente du groupe Thuasne

Plus encore que le monde d'aujourd'hui, le monde d'après sera marqué par la complexité et l'incertitude. Dans ce contexte, le réflexe naturel serait de recourir à toujours plus d'indicateurs et d'experts. A tort ! Construire le monde d'après nécessitera au contraire de faire ré-émerger les valeurs d'intuition et de jugement. La surenchère d'expertises mène à la paralysie. Nous devons assumer la part de risque inhérente à notre monde d'aujourd'hui et plus encore de demain. Sachons-nous "dé-sécuriser", car les lieux où l'on se sur-sécurise sont les lieux où l'on se perd. Nous construirons également le monde d'après en développant des capacités d'invention collective. Nous n'avons pas besoin de vedettes, d'individualités, pourtant chères au modèle français, mais de collectif, fonctionnant sur le mode projet. Chez Thuasne, l'entreprise familiale que je dirige, notre défi est de croître à l'international à partir de notre position de leader européen dans les tissus médicaux. Dans quinze ans, nous serons mondialisés. Mais notre organisation ne reposera pas sur un système hiérarchique. Nous serons un réseau, composé d'entités où nous serons propriétaires, d'autres où nous serons en association, d'autres où nous serons en partenariat.
 

Alain Papiasse (promotion 1989), BNP Paribas, membre du Comité exécutif, responsable du pôle Corporate and Investment Banking

Ces dernières années ont été marquées par une crise bancaire majeure avec la chute d'acteurs prestigieux comme Lehman Brothers. Dans de tels moments, le leader est comme un capitaine d'un navire en pleine tempête, devant prendre les bonnes décisions en intégrant l'ensemble des risques inhérents à nos institutions bancaires, et mobiliser ses hommes autour d'objectifs communs. Le leader doit connaître précisément les risques potentiels encourus par sa banque et être capable de prendre les mesures adéquates au bon moment, sans perdre pied dans l'irrationnel. L'aptitude à fédérer ses équipes et délivrer des messages cohérents aux investisseurs sont également déterminants. À tout moment, son éthique et ses valeurs doivent inspirer confiance. Il doit savoir les insuffler au sein de son groupe. Un bon leader doit allier une vision stratégique et une politique de risques garantissant la pérennité de son institution, être animé d'une dynamique positive et collective pour hisser sa banque parmi les leaders mondiaux, sans toutefois perdre de vue le contexte et les réalités, qui pourraient la fragiliser. Ainsi, le leader dans le monde bancaire est visionnaire, enthousiaste, toujours en éveil et au service de l'économie.


Geneviève Garrigos (promotion 2002), présidente d'Amnesty International France

La responsabilité des entreprises en matière de droits humains est maintenant admise, d'autant qu'avec la mondialisation le périmètre d'influence s'est élargi à des zones où les carences réglementaires, la corruption, sont sources de risques majeurs. Des risques pour l'image, pour la confiance des clients, des salariés et des actionnaires. Le remède ne peut se limiter à des rapports sur papier glacé qui vantent dispensaires ou bourses d'études financées par l'entreprise. Il est dans le respect de l'éthique, dans l'analyse de l'impact social et environnemental de l'activité pour mieux anticiper. Quel est l'impact des déchets sur la santé ? Quelles sont les conditions de travail, de sécurité ? Les sous-traitants font-ils appel à du travail forcé ? Emploient-ils des enfants ? Les droits des populations indigènes sont-ils respectés ? Diriger, ce n'est pas choisir l'agence de communication qui permet de gérer au mieux lorsque le scandale éclate. Diriger, c'est respecter, en toutes circonstances, les cadres réglementaires dans les pays qui accueillent le siège social et les filiales de l'entreprise, ses sous-traitants. C'est contribuer à les développer dans les pays où le niveau d'exigence est en deçà de ceux que nous accepterions pour nous-mêmes. Diriger c'est être responsable, refuser de détourner le regard.
 

 

Jérôme Stoll (promotion 1989), directeur général adjoint, directeur commercial de Renault

Je ne crois pas qu'il y ait un monde d'après et un monde d'avant : il y a un monde qui évolue, plus global que jamais, qui change de plus en plus vite. L'évolution de l'industrie et du commerce automobile l'illustre. Ce monde en mutation accélérée, nous le vivons au quotidien. Quelles qualités les leaders doivent-ils avoir pour faire face au défi de l'avenir ? Ils doivent avoir une conscience aiguë de l'espace temps : être capables de penser "global", et de penser vite. Pour paraphraser René Char, ils doivent penser en stratèges et agir en primitifs : dans un monde incertain aux tendances volatiles, savoir déceler les tendances lourdes qui vont dessiner l'avenir. Transformer ces opportunités en réussites par une exécution rapide et rigoureuse de la stratégie. Définir des objectifs clairs et tout mettre en oeuvre pour les atteindre. L'engagement stratégique de Renault dans la voiture électrique l'illustre, tant par sa dimension visionnaire que par sa mise en oeuvre globale et rapide. Mais aucun leader ne parvient à déployer sa stratégie, aussi excellente soit-elle, s'il n'entraîne pas toutes ses équipes, en disant ce qu'il fait, et en faisant ce qu'il dit. Le vrai dirigeant doit être à la fois leader, coach et éclaireur pour leur donner envie, en donnant du sens à leur action, en les accompagnant.

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