Gestion du marché du lait : Bruno Le Maire a tout faux

Par Christine Lairy, Rannée (35), Alain Grosset, Gevezé (35), Claude Challier Reffuveille (50), Pascal Crenn, Guipavas (29), Claude Patinec, La Forest Landerneau (29), Jaap Zuurbier, Plounévézel (29), Serge Le Doaré, Plomelin (29), producteurs de lait et fondateurs du collectif "Non aux pénalités".
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Depuis la crise de 2008-2009, le gouvernement français fait mine de s'opposer au diktat du marché et au libéralisme bruxellois pour, soi-disant, nous protéger, nous producteurs de lait. Le message de la rue de Varenne est en substance le suivant : Bruxelles en décidant de supprimer les quotas laitiers (à partir de 2015) va noyer le marché sous un flot de lait, faire chuter les prix et, avec eux, les agriculteurs. Moi, ministre de l'Agriculture, en introduisant la contractualisation obligatoire, je prends la responsabilité de les protéger en rationnant la production quitte à maintenir ces quotas.

Ce raisonnement est absurde et la politique qui s'ensuit désastreuse. Elle organise la décadence d'une filière laitière française qui était encore considérée en 2003 comme l'une des plus compétitives d'Europe et comme un fleuron de notre industrie. À moyen terme, nous savons tous que la demande alimentaire mondiale aura aussi besoin de nos compétences et de nos capacités. Chaque producteur européen a sa carte à jouer, aussi modeste soit-elle.

Comment la France organise-t-elle le rationnement de la production ? Suivant son plan de sortie progressive des quotas, la Commission européenne augmente les références nationales (quotas) de 1% par an pendant cinq ans depuis 2009. Mais le ministère de l'Agriculture a arbitrairement décidé de ne pas utiliser cette marge de production supplémentaire en 2009. Plus grave : alors même que la production totale française était inférieure au quota existant, elle a continué d'appliquer des pénalités aux producteurs dépassant leur quota individuel. Les industries laitières se sont naturellement portées vers les producteurs allemands ou néerlandais qui, eux, ne sont pas contraints par leurs autorités. Comment peut-on penser que la France, seule dans son coin, peut faire remonter les prix du lait à coups de quotas nationaux ?

Nous sommes doublement pénalisés par la politique protectrice de Paris. D'abord, au creux de la crise, nous n'avons pas pu compenser nos pertes de revenus en augmentant la production. Faut-il rappeler que cette production est essentiellement une industrie de coûts fixes ? On ne met pas des vaches hors circuit comme des lignes d'automates dans une usine automobile ! Coûts fixes + prix en baisse = pertes. La seule façon de modifier cette équation est d'augmenter la production. Un collégien peut le comprendre.

Comme cela était prévisible, les prix, après avoir baissé en 2008 et 2009 avec la chute conjoncturelle de la demande, sont vivement remontés en 2010. Mais la politique de rationnement de Paris nous empêche d'en profiter. Résultat, la France n'a jamais autant importé de produits laitiers que depuis deux ans.

A qui profite le crime ? Cette politique a poussé nombre d'entre nous dans les bras des banques qui ont accordé, en pleine crise, des prêts de trésorerie à des taux, certes préférentiels, mais qui sont aujourd'hui une charge supplémentaire. Elle a aussi renforcé la position des laiteries étrangères, car, faute de produit, les circuits de commercialisation se sont approvisionnés sur les marchés d'importation. À présent, pour soi-disant nous garantir un revenu, le ministère promeut la contractualisation. Est-ce par incompétence ou juste par goût de la plaisanterie ? Seul face à une entreprise, le producteur laitier ne peut rien. Un grand groupe laitier du CAC 40, fleuron de l'excellence française, a été jusqu'à proposer à ses producteurs un contrat qui les oblige à payer eux-mêmes une partie des frais de collecte. La négociation, pour pouvoir être équilibrée, doit être collective et passer par une organisation structurée des producteurs !

Obstinée dans sa volonté de rationner, l'administration a averti qu'elle ferait encore payer aux producteurs en dépassement une pénalité de 28 centimes par litre. Cette politique malthusienne nous asphyxie. Elle sert un volontarisme de façade au lieu de contribuer au maintien d'une filière de production compétitive et de qualité. Nous refusons d'être sacrifiés sur l'autel de ces calculs politiques de court terme. Aussi, sur la campagne en cours, avons-nous décidé de livrer à nos laiteries respectives tout le lait que nous pouvons produire. Comme la France ne dépassera pas son quota national d'ici à fin mars, si l'une de nos laiteries (qui agissent en l'occurrence comme percepteurs pour le compte de l'Etat) décidait de nous prélever la moindre pénalité ou la moindre taxe, nous nous sommes mutuellement associés pour agir en justice contre elle et contre l'État. Nous interrogerons en parallèle la Cour de justice européenne, comme le prévoit le traité de Lisbonne, quant à la conformité de la gestion des quotas telle qu'appliquée depuis des années par la France. Il en va de l'intérêt de tous les éleveurs laitiers de notre pays.

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