Autour de la Méditerranée, la première puissance mondiale

Par Jean-Paul Betbèze, chef économiste de Crédit Agricole SA.
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Nous changeons de ministre des Affaires étrangères quand, lointaine réplique de la crise mondiale, la terre tremble de l'autre côté de notre mer au milieu des terres, la Méditerranée. Nous ne comprenons pas bien, et nous avons peur. Des pays tenus depuis des décennies par les mêmes hiérarques se fragilisent brutalement et tombent. Le plus surprenant est qu'ils chutent devant le désir des jeunes de changer, d'échanger, de vivre, mais pas devant des partis organisés, clandestins ou non, religieux ou non. Les aspirations à la démocratie plus Twitter ont fait sauter des structures qu'on croyait fortes, disparaître des milices qui faisaient peur. Cette leçon n'a pas fini de s'appliquer : elle est un immense message d'espoir et plus encore doit nous mobiliser.

Car une chose est de voir tomber un colosse aux pieds d'argile, une autre d'aider à construire une démocratie représentative, le meilleur rempart à tous les excès. Et c'est aujourd'hui notre tâche, avec l'idée de créer à vingt ans une zone plus prospère et surtout plus stable. La plus prospère et la plus stable du monde. On sait que la Méditerranée sépare aujourd'hui des potentiels économiques et démographiques énormes. Dans "Mare nostrum" Nord, Espagne, France, Italie et Grèce comptent pour 180 millions de personnes aujourd'hui, plus de 160 dans vingt ans. En face, les chiffres sont respectivement 220 et 280 millions. Le Sud va être deux fois plus peuplé que le Nord. Et ce Sud représente 2% du PIB mondial, contre 10% pour le Nord. Nous allons vers des écarts de population de 1 à 2 entre ce côté-ci de la mer et l'autre, de richesse de 1 à 10, de richesse par tête de 1 à 20.

Cet écart devient ingérable, avec plus de vieux riches ici et plus de jeunes pauvres en face, sans les dirigeants qui empêchaient tout mouvement entre les deux côtes. On craignait ici des flottilles de boat people, des vagues de révolutions religieuses ou encore des instabilités qui feraient monter le prix du pétrole et nous précipiteraient dans une nouvelle crise, mais on ne faisait rien. Aujourd'hui c'est fini : le double équilibre de l'inaction ici, de la terreur là-bas, est rompu. Il nous faut bouger. Bouger d'autant plus que nul ne sait ce qui va se passer de l'autre côté de la Méditerranée. Mais bouger surtout car s'offre à nous une immense solution commune, celle de liens plus forts et étroits des deux côtés de notre mer, pour sortir ensemble de la crise et relever nos défis stratégiques communs.

Un rêve ? Mais il y a cinquante ans, quand les pères de l'Europe proposaient de faire relever les décombres par ceux qui s'étaient battus étaient-ils fous ? On voit l'immense résultat, évidemment à renforcer et compléter. Et si, aujourd'hui, ce renforcement passait par l'autre rive ? Est-ce une folie que de faire coopérer des peuples qui se connaissent et qui sont complémentaires, mais qui peuvent s'opposer demain, si rien ne change ?

Tout le monde sait que l'Europe est en crise et en panne de croissance. Elle manque aujourd'hui de ressources financières et demain de ressources humaines. Tout le monde sait que l'autre côté a besoin d'infrastructures, d'agriculture, d'éducation, mais qu'il dispose souvent de ressources importantes, fossiles, minières, agricoles et surtout humaines.

Est-il impossible de lancer des grands programmes de développement en utilisant plutôt qu'en stérilisant les ressources pétrolières, agricoles, minières ? Est-il impossible de développer des échanges d'idées, de brevets, de pratiques ? Est-il impossible d'unir mieux les entreprises et les salariés ? Est-il impossible de trouver des solutions communes, de forger un projet commun, maintenant que les freins sont tombés et que l'urgence est partout plus forte ? Est-il plus difficile de faire coopérer des pays qui ont cessé leurs rapports coloniaux depuis quarante ans que des peuples qui ont cessé de s'entre-tuer depuis quatre comme du temps de la Ceca ?

Le changement de perspective est immense et appelle à une autre vision, économique, financière, mais aussi politique et sociale, dans un monde qui bouge vite. Ce sursaut est nécessaire, à un moment où chacun regarde chez soi, en se disant que ce qu'il gagne s'obtient aux dépens de l'autre. Les vraies solutions sont celles où chacun a plus à gagner à coopérer qu'à continuer comme si de rien n'était. Car plus rien ne continue.

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