Football européen : vers le krach généralisé

par Olivier Ferrand, président et fondateur de Terra Nova
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Michel Platini vient d'être réélu à la tête de l'UEFA. Son second mandat va devoir affronter un risque systémique inédit dans le monde du football : la faillite globale des clubs professionnels européens. Le modèle économique du foot business européen est au bord du gouffre. Avec la dérégulation imposée par l'arrêt Bosman (1995), qui a notamment mis fin aux quotas de joueurs étrangers par club, les transferts ont explosé, entraînant avec eux le niveau des salaires : le salaire moyen en Ligue 1 française dépasse les 50.000 euros mensuels ; le salaire des stars européennes se calcule désormais en centaines de milliers d'euros... par semaine.

Les recettes commerciales (billetterie, sponsoring, merchandising, droits télé) ont connu un bond vertigineux. Les droits télévisuels, notamment, ont été multipliés par 600 en France en vingt-cinq ans, pour atteindre 668 millions d'euros aujourd'hui. Malgré tout, les recettes commerciales pérennes ne suffisent pas à couvrir l'explosion des charges salariales.

Pour boucler les budgets, les clubs recourent dès lors à des expédients. Le plus malsain est la spéculation financière sur le prix des joueurs. Le club acheteur verse une indemnité de transfert lors de l'achat d'un joueur ; il reçoit une indemnité lorsqu'il le revend. Tant que le marché des joueurs est à la hausse, les clubs engrangent des plus-values. Cette hausse est entretenue artificiellement : par les clubs, qui y ont tous intérêt pour boucler leurs budgets ; par les agents de joueurs, rémunérés sur ce prix de vente ; par le système comptable, qui autorise - exception sans équivalent dans aucun autre secteur économique - à considérer les joueurs comme des actifs financiers, gonflant ainsi artificiellement le bilan des clubs. Le marché des joueurs est désormais un marché spéculatif proche de celui des subprimes immobilières américaines : dès qu'il se retourne, c'est le krach généralisé.

Les clubs recourent aussi massivement à l'endettement. Le football professionnel européen totalise près de 15 milliards d'euros de dettes. Le football espagnol atteint presque 5 milliards de dettes, le club anglais Manchester United à lui tout seul 900 millions. Cette fuite en avant a été rendue possible par l'absence de régulation sur la comptabilité des clubs : seule la France s'est dotée d'un tel contrôle, via une autorité comptable et financière (la DNCG), ce qui contient l'endettement de ses clubs à un niveau raisonnable (150 millions en 2010). Elle a aussi été facilitée par le système comptable : la comptabilisation des contrats des joueurs à l'actif des bilans des clubs permet un recours accru à l'endettement. Cette fuite en avant aura également une fin. Certains clubs, comme Valence en Espagne (500 millions de dettes), sont déjà en situation de faillite virtuelle.

Les clubs bénéficient aussi, pour boucler leurs budgets, de l'arrivée de mécènes providentiels. Ces donateurs (milliardaires, fonds souverains) n'investissent pas dans le football avec une logique de rentabilité, mais pour le prestige, le réseau social, l'influence diplomatique, voire des raisons équivoques. Dès lors, ils permettent à l'économie du football de vivre au-dessus de leurs moyens et alimentent la bulle spéculative des transferts et des salaires. Eux non plus ne sont pas éternels.

Le football nécessite une régulation publique urgente. L'UEFA a fait un premier pas avec les règles de « fair-play financier », qui visent à limiter l'endettement des clubs et à restreindre l'apport de capitaux de mécènes extérieurs. Elle devra aller plus loin. Terra Nova propose des mesures plus volontaristes.

D'abord, un système de « salary cap » plafonnant la masse salariale des clubs : pas plus de 55 % du chiffre d'affaires. Il a fait ses preuves aux États-Unis. On rétorque parfois qu'un tel système est indissociable d'une ligue fermée. C'est inexact : ce que la NBA a pu imposer contractuellement à ses franchisés, l'Europe peut l'imposer par la règle, soit issue de l'UEFA, soit de la législation communautaire. D'ailleurs, le « salary cap » existe dans le football européen (en L2 italienne) et en France, dans le rugby, au sein du top 14.

Ensuite, l'interdiction des plus-values financières sur les joueurs : les dépenses des clubs doivent être financées par les recettes commerciales pérennes, pas par de la cavalerie sur les contrats de joueurs - on a déjà atteint la barre des 100 millions d'euros pour le rachat de Cristiano Ronaldo par le Real Madrid ! Autre proposition, une « DNCG européenne » : un contrôle comptable et financier rigoureux des clubs, sur le modèle pratiqué en France avec la DNCG.

Le « business model » du football européen est insoutenable. La purge est nécessaire, et elle doit avoir lieu maintenant. Michel Platini a du pain sur la planche.

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