L'Asie face aux zombies américains

La consommation américaine sera encore longtemps déprimée, malgré les mesures de relance. Seul le consommateur asiatique peut prendre le relais. Mais il faut que les économies asiatiques commencent à s'intéresser à leurs marchés intérieurs. La Chine est parvenue à cette conclusion.
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L'Asie a besoin d'un nouveau type de consommateur. Il est probable que la nouvelle génération de « consommateurs zombies » apparue après la crise aux États-Unis entrave la croissance de la consommation mondiale dans les années à venir. Et cela signifie que l'Asie en développement, dont l'économie est tirée par les exportations, n'a pas d'autre choix que de se tourner vers ses marchés intérieurs et de compter sur ses propres 3,5 milliards de consommateurs.

Ce n'est bien sûr pas la première fois que l'Asie doit faire face au problème des morts-vivants économiques. Les entreprises zombies japonaises, mises sous perfusion de crédit, étaient à l'épicentre de la première « décennie perdue » du pays dans les années 1990. De même, la crise de 2008-2009 a donné lieu à des renflouages, créateurs de zombies, dans les pays occidentaux.

Mais les zombies les plus évidents pourraient bien être les consommateurs américains qui ne se sont pas relevés de la crise malgré tous les efforts du gouvernement. Bien au-delà de l'extension nécessaire des indemnités chômage, la protection sociale a été élargie pour comprendre des programmes destinés à empêcher les saisies de logement, d'autres formes d'annulation de dettes et des plans de relance monétaires et budgétaires extraordinaires. La compassion fait partie des valeurs morales de toute société. Mais une ligne ténue la sépare de la « destruction créative » indispensable pour purger un système de ses excès à la suite d'une crise. Le Japon a franchi cette ligne dans les années 1990, au moment où ses sociétés zombies ont empêché les ajustements nécessaires.

La même situation pourrait se présenter aux États-Unis. En dépit des mesures de sauvetage du gouvernement, il semble probable que les consommateurs américains doivent s'attendre à des années de réduction des dépenses. La part de la consommation dans le PIB américain, qui a nettement progressé, s'élève aujourd'hui à 70 %, bien au-dessus des 66 % des 25 dernières années du XXe siècle. Qui va donc reprendre le flambeau ? L'Europe ? Le Japon ? Je ne parierais sur aucun des deux.

C'est ici que l'Asie entre en jeu. Les économies asiatiques restent très dépendantes de la demande des consommateurs des pays avancés. La part des exportations des douze principales économies de l'Asie est passée de 35 % de la production régionale à la fin des années 1990 à 45 % au début 2007. Il ne faut donc pas s'étonner que tous ces pays aient fait l'expérience soit d'une récession soit d'un net ralentissement économique lorsque les échanges commerciaux mondiaux ont plongé à la fin 2008. Le découplage économique n'était pas une option envisageable.

Comme elles dépendent des marchés occidentaux, les économies asiatiques doivent envisager d'autres débouchés. Elles doivent commencer par se tourner vers leurs propres marchés. Pour l'ensemble des pays asiatiques, la consommation privée intérieure est à un plus-bas record, à 45 % du PIB, soit 10 points de moins que les 55 % du PIB atteint en 2002. La demande des consommateurs asiatiques n'est pas stagnante pour autant. Mais la croissance économique est fortement axée sur les exportations et les investissements fixes comme moyen principal d'absorber le surplus de main-d'oeuvre et une prospérité croissante. Dans un monde d'après-crise - plombé par les consommateurs zombies américains -, l'Asie exportatrice doit effectuer un rééquilibrage en faveur de la consommation intérieure.

Ce constat vaut en particulier pour la Chine. Alors que la part de la consommation a chuté pour atteindre un plus-bas record à 35 % du PIB (soit dix points de moins que la norme asiatique), la Chine est confrontée à des impératifs de rééquilibrage importants - et d'autant plus urgents si la croissance de la consommation reste faible dans les pays occidentaux.

La bonne nouvelle est que la Chine semble être parvenue à la même conclusion. Son douzième plan quinquennal met l'accent sur trois points majeurs encourageant la consommation : les emplois (en particulier les emplois intensifs en main-d'oeuvre dans le secteur des services) ; les salaires (un relèvement rendu nécessaire par une urbanisation galopante) ; une réduction de l'épargne préventive (en développant les mesures de protection sociale). Si la Chine parvient à tenir ses engagements sur ces trois fronts - comme je pense qu'elle le fera -, la part de la consommation privée dans le PIB chinois devrait grimper de cinq points au moins entre aujourd'hui et 2015.

Cette évolution serait aussi une bonne nouvelle pour les autres économies d'Asie de l'Est - soit le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. Ces trois pays, relativement peu peuplés - et dans le cas du Japon, avec une démographie négative - n'ont pas d'autre choix que de compter sur les exportations et la demande extérieure pour tirer leur croissance économique. Dans les trois cas, la Chine a remplacé les États-Unis comme principal marché à l'export.

Ce déplacement s'est opéré juste à temps. Si la Chine mène à bien son programme axé sur la consommation intérieure, le reste de l'Asie sera en meilleure posture pour éviter les retombées de la nouvelle génération de consommateurs zombies américains. Comment les États-Unis s'en sortiront est une tout autre question.

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