Piraterie : escalade sur les mers

Par Jacques Barraux, journaliste.
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Scène de la vie quotidienne à Concarneau fin avril 2011. Le capitaine d'un navire thonier de 80 mètres, basé dans l'océan Indien, revient en Bretagne pour sa période de repos après douze semaines en mer. Que s'est-il passé sur le bateau ? "La routine... Nous avons repoussé trois attaques de pirates somaliens." A bord, des fusiliers marins, "prêtés" par la Marine nationale pour protéger les pêcheurs français, ont réussi à repousser les assaillants. Ils appartiennent aux EPE, les "Eléments de protection embarqués", qui sont, tout comme le dispositif européen "Atalanta", des ripostes aux actes de piratage dans la Corne de l'Afrique ainsi qu'au sud et à l'est de l'océan Indien.

L'opinion l'ignore ou ne s'en émeut guère : entre 600 et 700 marins sont actuellement abandonnés de tous, retenus en otages dans d'atroces conditions sur les côtes de Somalie. Depuis le début de l'année 2011, le nombre des actes de brigandage, enlèvements et attaques de navires a brusquement augmenté sur une demi-douzaine de routes commerciales dans le monde : golfe d'Aden, mer d'Arabie, golfe de Guinée, Caraïbes, sud de la mer de Chine. Seule exception, le détroit de Malacca où Singapour et ses voisins ont en partie redressé la situation. Militaires, armateurs, affréteurs, assureurs, industriels, réunis aux "Entretiens de Royan" début mai, ont révélé l'ampleur d'un phénomène dont le coût économique direct est évalué entre 7 et 12 milliards de dollars. Catastrophe économique pour les Seychelles, le canal de Suez ou les pays pauvres d'Asie, l'addition des coûts indirects fait grimper la facture globale à 16 milliards de dollars (*).

Au départ, en 2005, la piraterie somalienne - la plus spectaculaire - était une réaction de désespérés : un Etat en faillite et des ressources avalées par la pêche industrielle. Aujourd'hui, elle a changé de nature. Elle est devenue une activité criminelle organisée, dominée par une quinzaine d' "investisseurs" qui ont sous leurs ordres une centaine de chefs d'équipe. Ces derniers entretiennent un volant de 2 à 3.000 exécutants soumis à un régime de violence et d'intimidation.

Le "business model" des pirates somaliens s'est perfectionné au cours des dernières années. Investissement matériel de base : environ 70.000 dollars. Recette moyenne pour une attaque : 5,4 millions de dollars en 2010. Le record absolu vient d'être atteint avec 11 millions de dollars de rançon pour une prise géante. La durée moyenne de la "négociation" - mouillage sous bonne garde et détention d'otages - bondit d'année en année : trois mois en 2009 ; six mois en 2010. Le taux de réussite des actes de piratage est très élevé : 26% l'an dernier. La piraterie a ses commanditaires, ses informateurs, ses responsables de bases logistiques et ses négociateurs. Seules des actions concertées intergouvernementales peuvent désormais en venir à bout.

De l'Antiquité au XXIème siècle, la même peur a couru sur les mers. Pour Cicéron, le pirate ne mérite pas d'être traité comme un prisonnier de guerre car il est "l'ennemi commun à tous". Jules César fut lui-même victime d'une prise d'otages. Il paya sa caution mais revint sur place l'année suivante, captura ses ravisseurs et les condamna tous à la crucifixion. Quant à Pompée, il trouva la solution qui pourrait inspirer nos Etats de droit : après une campagne réussie contre les pilleurs de blé qui affamaient Rome, il les installa loin des côtes et les transforma en agriculteurs. Deux mille ans plus tard, la recette de la paix par le développement conserve toutes ses vertus...

 

(*) Les actes des "Entretiens de Royan" seront publiés par l'institut Presaje (Presaje.com).

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